Hier soir, je n'ai pas travaillé à l'hôpital mais pour Maggy. Ce qui implique de rentrer plus tôt dans la soirée et de pouvoir me lever à une heure décente! Je décide donc d'aller faire un tour, ce qui avant 12h est exceptionnel ! Je quitte l'appartement avec dans l'idée d'aller prendre un brunch avec un café avant d'aller me promener au parc juste pour profiter du beau temps et du soleil sans être enfermé dans la chambre de bonne.  J'aime bien aller en dehors de Bronwsville et j'ai commencé à explorer un peu plus mon environnement en rayonnant à partie de Glenmore Plaza.

Je vais pour m'engouffrer dans le métro, empruntant les escaliers aux marches étroites, quand je reconnais - juste au moment de la croiser - Scylla lourdement chargée de paquets. Je m'arrête aussitôt à sa hauteur, stoppant mon élan qui allait m'emporter dans le ventre du métro. Je me risque dans mon anglais difficile que je m'efforce de pratiquer le plus possible "Salut Scylla ! Tu as besoin d'aide ?" C'est une question rhétorique comme on dit car j'attrape déjà deux de ses sacs pour la délester et l'aider, un sourire avenant aux lèvres. Je sais bien que nous nous ne sommes pas vus depuis notre explication difficile à Leningrad mais je ne suis pas fâché après elle et je n'ai pas non plus envie de couper les ponts. Elle m'avait fait comprendre qu'elle avait sans nul doute besoin de digérer ma décision de cesser de la voir en amants, en amoureux ou tout ce qu'on voudra mettre derrière notre relation comme elle a été mais pour ma part j'espérais qu'elle accepte dans le futur à ce qu'on continue à se voir en amis. "Je t'accompagne à ta porte."

Je sens bien qu'elle est déstabilisée mais je n'ai aucune raison de ne pas l'aider et je n'ai pas envie de passer à coté d'elle en la niant ! Je ne cherche pas à lancer la conversation si elle n'en a pas envie, lui laissant l'initiative de m'envoyer paître ailleurs si elle est fâchée à ce point-là. Mais tandis que je marche près d'elle en portant deux lourds sacs, elle m'interroge sur un terrain neutre et j'accepte ce choix avec un sourire amical.

Je répond en passant au russe, naturellement, plus facile pour m'exprimer "Je ne finis quand même pas midi, mais c'est vrai que d'habitude je dors à cette heure ci. Mais hier soir, je n'ai pas travaillé à l'hôpital, je devais voir Maggy." Voilà comment dire pudiquement que j'ai travaillé pour la Bratva. "Je suis rentré bien plus tôt que d'habitude cette nuit et j'ai pu dormir à des heures presque normales ! C'est rare ! Comme ça j'ai l'occasion de voir Brooklyn, je ne vais pas dire le matin, mais un peu plus tôt que d'habitude. Alors j'allais au parc pour profiter de l'ombre, il fait une chaleur d'enfer dans ma chambre."


Le soleil de NY tape fort aujourd'hui sur le bitume mais j'aime bien la chaleur. Mon tee-shirt me colle à la peau et mon jean est surement trop chaud pour la saison, mais je fais avec les affaires que je possède. A l'ombre dans le parc, ce sera de toute façon très bien pour lire ce livre en russe fourré dans la poche arrière de mon jean. Je remonte dans mes bras un des paquets qui glissent. "ouf, je ne sais pas ce que tu as acheté, mais ça pèse un âne mort. Et je parie que ton ascenseur sera en panne ! " Je le dis par plaisanterie, ces ascenseurs sont toujours en panne ! Moi j'ai de la chance, j'habite au troisième, c'est encore gérable, je plains ceux du douzième !

Je ris volontiers à sa petite plaisanterie parce que c'est un signe que peut-être elle ne m'en veut plus tant que ça. Je suis vraiment triste de la façon dont elle a interprété ou pris ma décision et si je comprends pourquoi - j'aurais du être plus franc dès le départ mais en toute honnêteté, je ne pensais pas que sa relation avec Léo finirait pas me déranger, j'aimerais sincèrement qu'on arrive à rester amis. Elle manque à ma vie.

"Visionnaire ? Comme Raspoutine ? C'est un truc de russes ça." Je soupire devant l'affichette "et ça n'est pas toujours facile" Prenant notre courage à deux mains, nous voilà à grimper les escaliers dans la chaleur suffocante de l'immeuble. Ils ont ceci d’extraordinaire qu'ils retiennent la chaleur par fortes températures et sont glacials au cœur de l'hiver. Je croyais que ça devait être l'inverse moi ! D'ailleurs, les couloirs de l'escalier sentent la sueur, charme des fortes journées ensoleillées. J'ajuste les paquets dans mes bras, mes mains moites collent désagréablement au papier kraft, je reprends mon souffle pour faire remarquer "je plains ceux tout en haut... Heureusement que je t'ai croisée..." Ou alors elle aurait appelé Léo à la rescousse ou un.e ami.e. Tu n'étais pas le seul Niko à avoir le privilège de son amitié. Étais ou es... Je fais d'avoir mentalement employé le passé me perturbe. On est presque arrivé quand je m'arrête, posant mon dos contre le mur. Je respire un bon coup et cette fois ce n'est pas du à l'essoufflement - enfin pas que - avant de chercher le regard de Scylla. "Dis Scylla, tu es fâchée avec moi ?"

"Oh, la pauvre, ce ne doit pas être facile tous les jours. Ils devraient vraiment le réparer pour de bon." Propos sans nul doute utopistes, même moi j'en ai conscience mais un peu d'idéalisme fait du bien dans ce monde trop dur. On peut rêver, espérer, encore heureux qu'on puisse !

Je hoche lentement la tête à sa réponse. Je l'ai déçue comme j'ai déçu beaucoup de monde avant elle. Ça me fait mal mais c'est une douleur que je connais. Comme elle dit, ça passera. Je me force à sourire parce que je la comprends et que c'est en souriant même quand on est triste qu'on finit par voir la lumière. Je hoche la tête avant de finir de monter les marches. Je dépose les deux paquets à côté de la porte d'entrée  "Voilà, tes courses sont à bon port et toi avec. Bon, à la prochaine alors et prend soin de toi."

Si j'ai envie de conserver son amitié, je n'ai pas envie de la brusquer ou de la forcer à garder un lien qu'elle ne désirerait pas. Peut-être a-t-elle tournée la page pour se consacrer à Léo, peut-être que c'est plus facile dans avoir dans les parages le gentil boulet que je suis, je ne sais pas. Je ne lui en veux de rien, la situation est venue comme ça, de notre fait à tout les deux sans que nous le cherchions vraiment. Je m'apprête donc à partir, espérant qu'un jour elle m'appellera pour me donner de ses nouvelles quand elle me retient d'un air presque embarrassé que je ne m'explique pas. Cette gêne entre nous est sans doute ce qui me peine le plus, mais je n'ai récolté que ce que ma maladresse m'a fait semer.

Je souris en hochant la tête, rien ne me ferait plus plaisir que de passer un moment avec elle. Ce n'est pas parce que j'ai décidé de ne plus vouloir de relation intime avec elle que je peux gommer l'amour que j'ai à son égard. C'est un sentiment qui ne s'efface pas si aisément. "JBien sur, je t'attends. J'ai le temps, je vais seulement au parc Herbert ... pour flâner" Je ne suis plus sur du nom mais je sais où il se trouve et c'est le principal. "Tu sais j'ai toujours ma veste chez toi. Est-ce que je peux la récupérer ?" C'est à cause de cette veste que j'avais croisé Léo. Je n'en avais pas besoin avec les jours chauds que nous subissions, mais la récupérer maintenant me ferait éviter un impair plus tard.

Je suis content de récupérer ma veste, qui est quelque part responsable de cette situation. Ou plutôt qui m'a ouvert les yeux dans ce délicat moment où j'ai croisé Léo. C'est difficile de trouver quelqu'un sympathique et de l'estimer plus que soi au moins dans la capacité à rendre la personne aimée heureuse. C'est difficile de se comparer quand la comparaison est en votre défaveur.

"Bonne idée, je pensais faire un brunch dans un café avant, mais un pique-nique c'est aussi bien."  Je reste empoté, ayant plus peur de la déranger si je tente de l'aider à ranger les courses car je ne sais pas où vont les choses. Alors je laisse tout faire quasiment, m'excusant d'un sourire mais pour faire bonne mesure, je m'occupe de porter le sac quand nous sommes prêts à partir. Je plaisante gentiment parce que le sac est bien chargé "Tu ne crois pas qu'on a pris un peut trop ? On va pouvoir nourrir tout le parc avec ça. L'autre jour, je suis allé à Central Park. C'était la première fois, c'est très impressionnant. NY a plus d'espaces verts que ce que je pensais..."

"Une heure en voiture ? parce que pour aller à Central Park, on y est allé à pied, et ça fait déjà une sacrée marche, j'étais rincé. Je ne crois pas que mon permis marcherait ici et de toute façon je n'ai pas de quoi prouver que j'ai le permis. Ou alors peut-être en train ? Est-ce qu'il y a des trains tu crois pour aller à ces réserves ? Tu en as déjà visité ?" Moi, j'ai envie de tout découvrir. C'est comme si je m'éveillais d'un long rêve - je ne dirais pas cauchemar parce qu'il y a plein de choses que j'adore quand je rêve et le rêve et la réalité sont tellement identiques que j'ai du mal à les différencier, mais ici à NY, je vis autre chose qui commence à me plaire après ces longs mois où j'étais shooté et dans la rue. Je suis comme un gamin qui découvre des nouvelles merveilles. "Je te propose qu'on prenne le métro, ce sera plus court que de marcher . On peut marcher au parc, ce sera plus sympathique que les rues. Il faut chaud sur le bitume, je préfère l'ombre des arbres."

"Oh en train ou en bus..." des envies d'aventures et d'ailleurs me prennent sans que je sois obligé d'aller dans le monde onirique. Quelque chose d'authentique pour renouer avec moi-même. Je réponds sans hésitation "La forêt ! J'adore les arbres." Et c'est accroché à la barre du métro, dans le bruit de la rame et des gens qui descendent et montent que je confie mon secret "Je vais te dire Scylla, mon rêve. J'espère que je le réaliserais un jour même si je dois attendre d'avoir soixante ans pour ça si je vis jusque là. Je voudrais aller au japon suivre la floraison des cerisiers du japon. J'ai vu un reportage à la télévision, un matin à l'hôpital, et bien c'est fascinant. "

On sort du métro pour émerger au coin du parc. Je montre un côté "Par là c'est le plus joli, qu'est-ce que tu en penses ?"

"Oui, j'aime la neige et je la déteste en même temps. Je ne sais pas comment l'expliquer autrement que comme ça. Ça me rappelle trop de choses, c'est lié à trop de choses. Trop d'espoirs et de peurs, il y a trop d'intensité. Les fleurs de cerisiers, c'est un rêve que je n'ai pas encore réalisé, tu vois ? C'est plus doux. " C'est un vrai rêve, dans le sens où les gens l'entendent et pas comme moi je peux comprendre ou vivre ce mot. La neige, blanche, immaculée me rend nostalgique de mon autre moi, il y a une forme d'auto-apitoiement mêlée d'un regain de courage quand je regarde le tableau que m'a offert Scylla. "Merci, j'espère qu'un jour j'irais."

"d'accord, donne moi la couverture." J'étends la couverture pour qu'elle soit parfaitement étendues afin que nous puissions pique-niquer sous le chêne. J'enlève mes chaussures pour m'asseoir en tailleur. Je prends un soda, en propose un à Scylla. "Et toi, comment ça va ? Comment ça se passe avec Leo ? Tu es heureuse ?" Je ne cache pas que j'ai besoin de me rassurer, de savoir que mon choix était le bon et surtout de réussir à tourner la page de la relation amoureuse que nous avons eu. Bien que c'est moi qui ait voulu qu'on stoppe, je n'arrive pas à oublier Scylla. J'en suis toujours amoureux et je sens bien que ça m'empêche de pouvoir m'investir ailleurs.