Cette naissance-là n’est pas faite de drames, de tragédies ni de violence. C’est dans au coeur d’une famille unie et aimante que l’enfant voit le jour, désirée, entourée. Il aura fallu des années à sa mère pour parvenir à mener une grossesse à terme, et contrairement à ce que son prénom pourrait laisser présager, Scylla est accueillie tel un miracle. Si elle restera à jamais enfant unique, elle grandit néanmoins au sein d’une famille nombreuses, où les membres même les plus éloignés se serrent les coudes en tous temps. Il y a, dans leur maison de campagne, toujours du bruit, du monde, de la vie, rien n’y est jamais vide ou calme. L’enfant ne sait pas vivre dans le silence, moins encore dans l’immobilisme, et les lieux sont envahis d’odeurs délicieuses, de musiques, de cris, de larmes et de rires, chacun trouvant sa place dans le tumulte.


Véritable mosaïque de cultures, il est impossible de décrire d’une seule phrase la famille Ivanov. Leurs origines prennent racines aux quatre coins du globe, les sangs s’étant mêlés au fil des générations sans que jamais personne ne tienne réellement l’historique des différentes alliances. Si Scylla naît et grandit en Ukraine, elle est grandement marquée par la culture tsigane qui prend vie du côté maternel, et transparaît dans de nombreux aspects de sa vie.

Haruspice et grande adepte de spiritisme, sa grand-mère s’adonne à des pratiques que l’on aurait, autrefois, qualifiée de magie noire, et pour lesquelles elle aurait probablement fini sur un bûcher. Sa mère, plus tempérée, se passionne d’astrologie et de cartomancie, sciences divinatoires auxquelles elle forme sa fille, désireuse de transmettre l’héritage familal. Scylla grandit donc bercée de croyances occultes, et apprend rapidement à tirer les cartes, lire les lignes de la main ou les feuilles de thé, et à s’intéresser aux astres.


Mais rien ne saurait rester toujours rose, et le paternel accumule au fil des ans un nombre impensable de dettes, entraînant peu à peu le reste des membres de la famille dans sa chute. Les Ivanov n’ont pas l’âme criminelle, et ils peinent à se plier aux missions qu’on voudrait leur confier en guise de remboursement. Les représailles ne tardent pas à pleuvoir, tant sur les mâles que sur leurs progénitures et leurs épouses. La violence s’installe, insidieuse, au coeur de leurs vies, et sera l’élément déclencheur des premiers cauchemars.. Les plus jeunes finissent par prendre les armes pour fomenter de ridicules tentatives de révoltes, dont peu ressortent vivants.

Lorsque les choses dégénèrent, Luna s’endette encore, pour offrir à sa fille une porte de sortie, sous la forme d’un aller-simple vers les Etats-Unis. Scylla est expédiée chez une lointaine cousine, qui n’accepte de s’occuper d’elle qu’en échange d’une pension qu’elle ne touchera jamais. C’est à distance qu’elle apprendra la mort de son père, par le biais des contacts trop rares qui la lient encore à ceux restés à Odessa.


La gamine se renferme peu à peu sur elle-même, préférant se réfugier dans les livres ou dans l’écriture plutôt que de se lier à ceux dont elle peinera, longtemps, à apprendre la langue. La vie new-yorkaise lui semble bien trop éloignée de ce qu’a été son quotidien durant les premières années de sa vie, et elle ne se départira jamais tout à fait de cette sensation de n’être pas à sa place. Les songes trop réalistes ne cessent, la nuit, de la tourmenter, rendant le quotidien plus difficile encore. A bout de patience et de ressources, sa cousine l’envoie consulter un psychiatre qui, très tôt, lui prescrit des somnifères. Si les substances ingérées changent au fil des années, et de l’expérience, il n’en reste pas moins que Scylla a un mal fou à s’endormir sans planer.

Bestiole solitaire, elle ne se fond dans la foule que lorsqu’elle tente d’y vendre ses talents divinatoires, abordant de parfaits inconnus dans les bars ou les festivals pour leur proposer de leur lire l’avenir. De temps à autre, elle parvient à se faire embaucher ainsi dans différentes foires.

Mais il faut bien, un jour, choisir une voie, et la jeune-femme décide d’étudier le journalisme, tentant ainsi de mettre à profit son amour pour l’écriture.