Cela fait déjà trop longtemps que ça dure. Les yeux rivés sur la paperasse étalée devant mes yeux, cigarette prisonnière de mes doigts, mes pensées n'arrivent pas à décrocher de Jade. Ce soir, c'est le moment. Il faut qu'on parle, enfin, de tout ce qui s'est passé ses derniers temps. De son agression, dont nous n'avons pas reparlé depuis cette nuit-là, à l'hôpital et de ce harcèlement scolaire dont je n'étais malheureusement pas au courant avant que Milo finisse chez les flics. Depuis, ma relation avec ma filleule c'était effritée, au fil des jours et de mes nuits en dehors de l'appartement. Et c'est tout ce que je ne voulais pas. Je voulais qu'on parle. Qu'elle se livre, comme je pensais qu'elle le ferait avant que toute cette folie ne m'éclate à la gueule.

Ma main attrape mon verre de whisky entre deux de mes notes. Cette histoire commençait à me rendre fou. Ezekiel avait raison, je le savais. Et c'était bien pour ça que j'avais fini par provoquer la conversation que nous allions avoir. J'avais fait les choses bien. Préparé un repas qui mijotait au four depuis déjà une heure, fais un dessert, préparé une selection de films et du pop-corn. Ce soir, au delà de la conversation qui allait s'avérer difficile, je voulais la retrouver. Cela faisait bien trop longtemps que nous n'avions pas partager une soirée rien qu'à deux, comme nous le faisions si souvent au début. Je voulais retrouver ça. Je voulais retrouver Jade. Peu importait ce qui se passerait.

Mon regard se releva de lui-même lorsque j'entendis le bruit de la serrure. Les yeux rivés vers la porte d'entrée, j'attendais, arborant un sourire se voulant rassurant en tapant ma cendre dans le cendrier à ma portée.

« Hey ma puce... Ça a été ta journée ? »

Depuis que Jade avait reçu ce simple sms de Léo, la journée n'aurait pas pu être plus bizarre. Les heures étaient passées aussi vite que lentement, comme la narguant à chaque changement d'émotion ressentie. La plupart du temps, elle était terrifiée en imaginant ce que son parrain pouvait bien avoir à lui dire qui nécessite de prévoir cette soirée tout spécialement. Évidemment, sa première idée et celle qui était malheureusement restée n'était autre que la fin de ce chapitre, à peine commencé. Il allait rappeler l'assistante sociale, si ce n'était pas déjà fait. Cette idée n'avait fait que l'angoisser un peu plus au fil des heures, s'insinuant dans son esprit comme un véritable poison. L'idée même d'avoir tout gâché entre eux était horrible. Le fait de le perdre alors qu'elle s'était autant attachée à lui était plus cruel encore.

Pourtant, l'adolescente ne pouvait le blâmer. Elle qui voulait à tout prix éviter d'être un poids pour son parrain n'avait fait que le contraire, se retrouvant dans une soirée qui s'était mal terminée et subissant un harcèlement qu'elle avait bien été obligée d'avouer au final. Jamais elle n'avait voulu tout ça. Lui cacher ce qu'il se passait n'était pas une façon pour elle de le rejeter, seulement de le protéger. Mais comment lui expliquer tout ça, alors qu'il était peut-être trop tard ? Avec cette idée en tête, supporter le temps qui coule n'avait fait que la torturer un peu plus plus à chaque seconde, l'empêchant de travailler correctement en cours, n'écoutant qu'à peine et échangeant des messages avec Milo en espérant que cela suffise à la rassurer. Malheureusement, ça n'était pas le cas. Il avait beau être adorable, la touchant plus que de raison, la jeune fille avait à présent l'intime conviction qu'il s'agissait de sa dernière soirée avec son parrain. Elle en avait mal au coeur, incapable de définir cette tempête de sentiments qui semblaient ronger autant son esprit que son coeur.

Malgré que le temps soit long, l'heure fatidique finit par arriver. Le dernier cours, dernier obstacle avant qu'elle n'entende réellement ce qu'elle envisageait de pire. L'idée de prendre les transports ne lui traversa même pas l'esprit, c'est donc à pied que Jade rejoignit le nouvel appartement, provisoire. Si elle savait cet état de fait, elle n'imaginait pas une seule seconde que ça deviendrait aussi véridique dans son cas. C'était peut-être mieux ainsi. Au moins Léo pourrait reprendre une vie normale sans l'avoir dans les pattes. Il pourrait emménager avec Scylla, être heureux. Quant à elle... franchement y penser lui faisait trop de mal. Plus encore que l'idée de se retrouver seule à nouveau, c'était d'avoir déçu son parrain qui l'angoissait réellement. Il avait fait l'effort de bousculer son quotidien pour elle et voilà comment elle le remerciait ? Décidément, ça n'aura pas duré longtemps avant qu'il découvre à quel point l'adopter était une erreur. Finalement, ce sentiment horrible comme quoi elle portait la poisse ne pouvait être plus présent. Marcher lui faisait du bien, pourtant plus elle se rapprochait de l'appartement et plus elle avait l'impression d'avoir la respiration coupée. Ce qu'il s'était passé en sortant du commissariat ne cessait de lui revenir en tête. Ce regard déçu que Léo lui avait lancé, ces mots culpabilisants qui n'avaient cessé de tourner dans sa tête depuis. Ça la hantait, prenant place dans les nombreux cauchemars qui hantaient ses nuits. Mais ça non plus, elle n'en avait pas parlé. Elle ne pouvait pas avouer se sentir mal alors que tout ça s'était produit par sa faute et de toute façon, Léo ne passait quasiment plus aucune nuit dans l'appartement, probablement avec sa petite amie. Pas étonnant qu'il se sente mieux auprès d'elle...

Vu le peu de temps qu'ils avaient passé ensemble, il était évident que cette discussion serait importante. Mais à quel point, ça elle n'en avait aucune véritable idée. Pourrait-elle au moins tenter de plaider sa cause ? Pour dire quoi au juste ? Elle était coupable et le savait parfaitement. Se défendre en sachant qu'on a gâché la vie de tout le monde n'est pas possible. Elle allait devoir l'accepter et foncer tête baissée. Pourtant, elle en était incapable.

Arrivée sur place, franchir la porte fut plus difficile que prévu. Jade dû trouver une nouvelle dose de courage auprès de Milo, son seul secours face à cette situation. Il semblait tellement sûr que rien de grave n'allait arriver alors que l'esprit de la blondinette ne cessait de lui hurler le contraire. Pourtant, elle savait que Léo n'avait jamais été cruel ou méchant avec elle. Elle savait parfaitement que leur lien s'était renforcé de façon aussi surprenante que rapide. Et pourtant, impossible de ne pas douter, parce-que tout ça, c'était avant de le décevoir. Avant de devenir la fille qui ment, qui attire des ennuis aux autres. Avant qu'elle ne détruise tout ce qui s'était construit.

Nouvelle bouffée d'air, espérance que cela calmerait un peu les battements de son coeur. Mais il n'en était rien, ce dernier semblait vouloir donner un concert privé. Ses mains tremblaient, les larmes menaçaient. Jamais elle n'avait été dans un état pareil. Enfin si, une fois. Après l'incendie. Après avoir comprit qu'elle venait de perdre ceux qu'elle aimait et tout ce qu'elle possédait. Retrouver ce sentiment n'était pas agréable.

Luttant avec férocité contre cette envie de fuir les lieux en vitesse, l'Italienne finit par glisser sa clé dans la serrure et ouvrir la porte, lentement. Léo était là, il l'attendait. Cela faisait un moment que Jade ne l'avait pas vu aussi souriant, provoquant de nouvelles interrogations qui ne s'étaient pas manifestées jusqu'alors. Est-ce qu'il se montrait aussi rassurant pour que la pilule passe mieux ? Hm... S'avançant lentement dans la pièce, l'adolescente posa son sac dans un coin pour ne pas encombrer le passage et retira son manteau, sans oser réellement le regarder.

- Oui... Ça a été...

Et elle ne mentait même pas en plus. Bryan semblait s'être calmé et Jade soupçonnait que Léo y soit pour quelque chose. Franchement ? Elle n'en avait rien à foutre de ce qu'il avait pu se passer. Ce mec aurait dû être puni depuis longtemps, son impunité face aux flics était une des nombreuses raisons qui l'avaient faite déchanter. A croire que ce qu'il s'était passé à la soirée n'avait pas été suffisant, malgré les analyses revenues positives et les traces de coups sur son corps, nan, il n'avait absolument rien eu. Soupirant lentement, Jade finit par tourner à nouveau le regard vers Léo. Elle n'avait aucune idée de l'attitude à adopter. Faire comme si de rien n'était semblait franchement au dessus de ses forces. Poser une question innocente du genre "Tu voulais me parler ?" ne ferait que provoquer une crise de larmes au stade où elle en était. Son désarroi devait se lire sur son visage, elle n'osait même pas s'approcher plus. Alors après quelques secondes à le regarder, les mots surgirent d'eux-mêmes, plus brutalement que ce qu'elle aurait voulu.

- Tu as décidé de rappeler l'assistante sociale, c'est ça ?

Pas de larmes, pourtant elle avait terriblement envie de pleurer. Juste une voix cassée, témoignant de la difficulté qu'elle avait à prononcer ces mots. Ça la minait. Elle avait tellement espéré pouvoir recommencer une nouvelle vie, tant cru à la possibilité qu'elle n'ait finalement pas tout perdu, elle s'était tant attachée à lui sans pouvoir ne serait-ce qu'occulter ces sentiments. Et par sa faute, tout était terminé. C'était un cauchemar. Par pitié, elle voulait vraiment se réveiller. Tout de suite.

Je fronce les sourcils en voyant ma filleule s'avancer dans la pièce. Elle me réponds d'une petite voix, n'ose pas relever les yeux sur moi. Que c'était-il encore passé pour qu'elle soit dans cet état ? L'inquiétude remplaça les traits se voulant rassurant sur mon visage. Elle fini tout de même pas m'accorder un regard, auquel je répondis sans détour. Parle moi, bon sang. Et c'est ce qu'elle fit. Sa voix fluette se fit enfin entendre. Je vis ses yeux pétiller d'une tristesse sourde, qu'elle retenait visiblement le plus possible. Je clignais plusieurs fois des yeux sous la question, dans l'incompréhension la plus totale avant d'enfin réaliser ce qui pouvait se passer dans sa tête. Pensait-elle réellement que j'allais me débarrasser d'elle.

« Mais enfin, qu'est-ce que tu racontes ? »

J'écrasais ma cigarette dans le cendrier avant de faire le tour de la table pour la rejoindre. Sans détour, mes bras glissèrent à sa rencontre dans une étreinte rassurante. Je la serrais contre moi avec force, tentant de faire disparaitre de telles idées de sa jolie tête. Mes doigts se pressèrent dans ses cheveux alors que je posais un baiser sur le haut de son crâne.

« Je ne ferais jamais ça. Jamais. »

Jamais. Comment pouvait-elle encore croire à une chose pareille ? Avais-je été un si mauvais tuteur, pour qu'elle pense une chose pareille ? La discussion dans la voiture me revint en pleine face. Je fermais les yeux, regrettant amèrement mes mots accusateurs. Je n'aurais jamais dû dire ça, mais j'étais tellement déçu, blessé et à bout que les mots étaient sortis d'eux même, sans penser aux conséquences. J'avais largement eu le temps d'y penser. Le temps d'essayer de comprendre pourquoi est-ce qu'elle n'avait rien dit.

« Je suis désolé. Jamais je n'aurais dû te culpabiliser. J'aurais dû être là pour toi. »

Je soupirais contre ses cheveux en rouvrant les paupières. Mes mains marquèrent sont dos dans des caresses larges et tendre, dans le seul but de dissiper toute cette tristesse qui émanait d'elle.

Affronter les choses en face était encore plus difficile que prévu. Jade avait mal au coeur, comme s'il allait exploser ou s'effriter au creux de sa poitrine d'un instant à l'autre. Ce ne serait que justice après tout. Son ancienne vie n'était plus que cendres et elle avait réduit à néant la chance qui lui avait été accordée. Elle n'était décidément qu'une idiote. A cet instant, elle était paralysée par la peur, incapable d'ajouter quoi que ce soit, incapable de bouger ou quoi que ce soit d'autre. Tout ce dont elle semblait avoir la capacité, c'était réfléchir, encore et encore, se reprocher tout un tas de choses en boucle, à s'en donner mal au crâne. Pas question de pleurer. Elle ne méritait même pas de se laisser aller autant, pas alors qu'elle avait provoqué sa propre punition. Cela faisait des jours et des nuits que cela grandissait dans sa tête, se faisant de plus en plus envahissant: tout était de sa faute.

L'incompréhension l'envahit alors que Léo bougeait, la rejoignant et la prenant dans ses bras. Franchement, Jade aurait voulu lui rendre cette étreinte, le serrer autant que possible dans l'espoir que ça effacerait ces dernières semaines, mais elle n'avait aucun pouvoir magique pour y parvenir. Tout ce qu'elle possédait, c'était des regrets qui ne suffiraient probablement pas. Le pire dans tout ça ? Perdre sa nouvelle vie n'était pas ce qui l'effrayait le plus. Non, c'était plutôt le fait de le perdre lui.

Incapable de lever les bras pour le serrer à son tour, comme si elle n'en avait pas le droit, la blondinette n'hésita cependant pas un instant à s'abandonner à ce contact. Si les larmes refusaient de couler, elle avait toujours l'impression que son coeur allait lâcher d'un instant à l'autre, tandis que sa peau tremblait d'une peur qu'elle ne pouvait expliquer. Peur de ses mots, de ce qui l'attendait, peur d'entendre ce par quoi il fallait pourtant passer. De toutes les phrases qu'elle s'était imaginée en attendant l'heure fatidique, celle prononcée par son parrain ne lui était jamais passée par la tête. Par réflexes, ses prunelles s'étaient relevées vers lui, comme pour y détecter une quelconque... ironie ? Ce ne pouvait être que ça. Pourquoi sinon, lui aurait-il demandé de parler avec un sérieux qui n'annonçait généralement que de mauvaises nouvelles ? Totalement perdue, Jade baissa les yeux à nouveau, ne sachant quoi répondre, quoi dire même. Du moins, jusqu'à ce que Léo reprenne, d'un ton toujours aussi rassurant qui tranchait littéralement avec ce qui s'était ancré dans sa tête. Se sentant coupable depuis des semaines, même bien avant la soirée, bien avant la bagarre qui avait impliqué Milo et bien avant la descente des flics dans l'appartement, l'adolescente avait finit par se persuader qu'elle était finalement bel et bien coupable de tout. Alors elle secoua la tête, retenant plus que jamais les larmes.

- Non c'est pas toi qui doit t'excuser, c'est moi. Tu avais raison, tout est ma faute, depuis le début. J'ai envahit ta vie, ton quotidien, j'ai tout perturbé. C'est ma faute si Milo a dû frapper Bryan, ma faute si tu t'es retrouvé au commissariat, sans moi ils ne t'auraient même pas retrouvé et ne t'auraient pas forcé à déménager... J'ai tout détruit, j'suis tellement désolée...

A force de retenir ses larmes, c'était sa respiration qui s'était affolée au fil de ses paroles, enchainant les mots sans faiblir un seul instant, alors qu'elle manquait d'air, qu'elle paniquait littéralement, envahie par les regrets en constatant ce qu'à ses yeux, elle avait provoqué. Le souffle court, elle continuait pourtant, déballant une bonne partie de ce qu'elle avait bien trop retenu.

- Je voulais pas... Je voulais pas être un poids pour toi. Mais j'ai fais n'importe quoi et... et je vois bien que tu regrettes. On se voit quasiment plus et à cause de moi tu peux pas être heureux et... j'ai jamais voulu tout ça. Jamais.

L'étreinte ne m'est pas rendue. A la place, ses yeux trahissant sa surprise, se relèvent vers moi pour me dévisager alors que je m'efforce de sourire. Elle se laisse aller contre mon torse, dans mes bras qui la serre comme la chose la plus précieuse au monde. Ce qu'elle est devenue, réellement, même si je suis incapable de le lui prouver correctement. Sa langue se délie. Son flot de paroles s'excite contre ses lèvres. Elle se culpabilise. Déclare que tout est de sa faute alors que je prend conscience de mon comportement des dernières semaines. J'ai passé un temps dingue avec Scylla, je ne me suis soucier que de moi alors qu'elle venait venait d'arriver dans ma vie. Alors qu'elle avait besoin de moi, tel un soutien infaillible. Le pilier que je me devais d'être pour elle. J'étais tellement accaparé par mon mariage foiré et ma relation avec ma confidente que j'en avais oublié le plus important. Je n'avais aucune excuse. Pas la moindre.

« Calme toi. Tu n'as rien fait de mal. Rien du tout. »

Ma prise se resserre sur son corps. Je la sens trembler, proche de la crise d'angoisse. C'est tout ce que je ne voulais pas. Moi non plus, je n'ai jamais voulu de tout ça. Qu'elle pense que je regrette ma décision de prendre soin d'elle m'atteint en plein coeur. Comment peut-elle croire une chose pareille ?

« Ne dit pas ça. C'est complètement faux Jade. Je ne regrette pas, un seul instant, tu m'entends ? »

Je la repoussais en douceur, sans pour autant l'éloigner de moi, cherchant son regard.

« Ecoute moi bien. Ce qui s'est passé avec Bryan n'est pas ta faute. Pas plus que ce qui s'est passé avec les flics. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'ils ne me trouvent. C'est entièrement le résultat de mes conneries. C'est moi, qui ai tout foutu en l'air. Moi et moi seul. »

A force de ne plus être aussi méticuleux. D'enchainer les contrats pour oublier, sans faire attention au reste et à toutes les conséquences qui me revenaient maintenant en pleine face. Elle n'était responsable de rien de toute ça. Et qu'elle pense à ce point le contraire me rendait malade.

« Je suis désolé, d'avoir déserté la maison. Désolé que nous ayons dû quitter notre chez nous. C'est ma faute. J'étais tellement occupé à essayer d'effacer Ezekiel de ma tête que j'en ai oublié ce qui m'importe le plus au monde. Toi. Et ça, ça ne changera jamais. Peu importe ce qui arrive. »

Mes yeux plantés dans les siens, j'avais perdu mon sourire pour une expression des plus sérieuses. Je voulais qu'elle me croit. Qu'elle arrête de se blâmer pour des choses dont elle n'était absolument pas responsable. Si quelqu'un avait tout gâché dans cette histoire, c'était bien moi. A vouloir fuir la situation, c'est elle que j'avais blessé. Pour au final retourner la tête la première dans les bras de mon mari à la moindre occasion. Tu parles d'une réussite.

« Je m'en veux, de n'avoir rien vu de ton mal être. De ne pas avoir compris ce que tu traversais. De ne pas être le père que tu mérites. C'est toi, qui devrait en avoir marre de moi. »

Les pensées s'entremêlaient, se brouillaient sans cesse dans l'esprit de Jade. A l'instant où elle avait reçu le sms de son parrain, elle avait eu le sentiment que son univers entier allait à nouveau s'écrouler, que le peu de stabilité qu'elle avait retrouvé était sur le point de voler en fumée et qu'elle allait à nouveau perdre quelqu'un qu'elle aimait de tout cœur. Cette sensation était terrible, supporter le reste de la journée avait été difficile. Et pourtant, la blondinette avait tenu bon. Elle avait suivi les cours sans sourciller, fait de son mieux, agit comme d'habitude. Mais là face à lui, ce n'était pas la même chanson. L'idée même que Léo puisse la détester ou ne plus vouloir d'elle lui broyait le coeur. Elle n'avait peut-être plus grand chose après l'incendie, mais grâce à cet homme, l'adolescente avait pu reprendre une vie à peu près normale, une vie à laquelle elle tenait malgré tous les ennuis qui lui étaient tombés dessus en si peu de temps. On lui avait offert une seconde chance et elle avait le douloureux sentiment de l'avoir chiffonnée et mise à la poubelle. Si elle n'aurait pu être plus sincère à cet instant, elle avait aussi l'impression de ne pas être capable de lui exprimer à quel point elle tenait à lui, à quel point elle était désolée et combien elle regrettait de l'avoir déçu.

Dans ces conditions, évidemment qu'elle pensait qu'il voudrait se débarrasser d'elle. Elle ne lui avait causé que des problèmes depuis son arrivée, à croire qu'elle était incapable d'apporter quoi que ce soit de positif. Et pourtant, contrairement à tout ce qu'elle avait cru comprendre depuis l'épisode de la voiture, Léo lui assurait ne pas regretter qu'elle soit là ? Ça lui semblait insensé. Il avait décidé d'adopter une adolescente, pas un nid à problèmes. Forcément elle était incapable de hocher la tête, préférant la baisser, perdue.

La récente descente de la police dans l'ancien appartement lui revint en tête. Elle avait eu tellement peur qu'il soit arrivé quelque chose à Léo, peur de ne plus jamais le revoir, qu'elle aurait été incapable de savoir quoi faire si Scylla ne lui était pas venue en aide à cet instant précis. Le revoir ensuite avait été un soulagement incommensurable et pourtant elle avait été incapable de le lui exprimer correctement, muselée par ce sentiment déjà présent qu'elle était de trop pour son parrain. Ce jour là, l'adolescente avait eu l'impression que son monde s'écroulait à nouveau, littéralement. Et malgré les mots de Léo, elle n'était pas dupe, un air de profond regret s'affichant sur son visage.

- C'est arrivé quelque jours après le commissariat... Je sais bien que ça n'est pas un hasard.

Peut-être que les activités de Léo n'avaient pas arrangé les choses, mais elle, elle avait déclenché le chaos puisque son parrain s'était retrouvé au commissariat pour Milo qui avait frappé quelqu'un pour elle. Une chose en reliant une autre, elle restait responsable et ça la hantait. Doucement, elle commençait néanmoins à réaliser que Léo ne voulait vraiment pas rappeler l'assistante sociale et immédiatement, un énorme poids sembla s'envoler, libérant ses épaules et son coeur.

Tant de signes avaient affirmé le contraire, tellement de "petits détails" qu'elle s'était efforcé de mettre de côté pour éviter d'appuyer sur la plaie en espérant qu'elle se referme toute seule. Ses cauchemars n'avaient jamais vraiment cessé, ils avaient même évolué, y incluant Léo et la perte qu'elle était sûre de subir un jour ou l'autre. A plusieurs reprises, elle était venue toquer à la chambre de son parrain. Mais la plupart du temps, il n'était pas là, alors elle n'avait pu que prendre son mal en patience et attendre que l'angoisse passe. Jade ne lui en avait jamais voulu, bien au contraire, elle voulait qu'il soit heureux. Mais petit à petit, elle s'était forcée à croire que l'un n'irait pas avec l'autre. Tant qu'elle serait là, peut-être que lui ne serait jamais heureux. Rien que d'y penser, cela la minait. Elle fit de son mieux pour sourire, secouant la tête.

- Non... Ça me faisait plaisir, je voulais juste que tu sois heureux. C'est tout ce que je veux. Mais depuis l'arrestation j'ai toujours le sentiment que je t'en empêche et... je suis désolée, vraiment désolée pour ça. Pour tout.

A force, elle ne savait même plus pour quoi elle s'excusait, alors autant dire que c'était pour absolument tout. A force, elle aurait même pu s'excuser d'être encore en vie. Si elle était morte à la place de ses parents, rien de tout cela ne serait arrivé. Léo pourrait faire sa vie comme il l'entendait et il n'aurait pas une gamine écervelée à charge. Pourtant, Jade avait fait son maximum pour être la plus discrète possible. Elle n'avait pas demandé autant d'attention qu'elle en avait besoin et pourtant des dizaines de tuiles lui étaient tombé dessus et c'était son parrain qui avait dû ramasser les débris, se coupant au passage. Bravo, discrétion au top. Bien entendu, elle secoua la tête en entendant les mots prononcés par Léo. Hors de question qu'il pense ça.

- Dis pas ça. Je ne pensais même pas mériter quoi que ce soit après... ce qu'il s'est passé. Tu es bien plus que ce que j'espérais. Tu ne m'as jugée, pas accusée, tu as tout fait pour moi. Je ne voulais pas gâcher ça, je ne voulais pas que tu me détestes, c'est pour ça que je n'ai rien dis, pour Bryan et les autres. Je croyais que ça passerait, que ça s'arrêterait tout seul si j'ignorais et que je ne disais rien. Je savais que ça allait tout gâcher et... Je ne veux pas perdre encore quelqu'un que j'aime...

L'un comme l'autre, nous finissons par livrer ce qui pèse sur nos coeurs depuis déjà bien trop longtemps. Ça culpabilité, totalement infondée à mon sens, m'éclate au visage tandis que je réalise à quel point j'ai merdé avec elle, sur toute la ligne. Trop absent, trop prit par mes déboires sentimentaux au point d'oublier ce qui importait vraiment, plus que tout. Je n'avais aucune excuse. Et savoir qu'elle pensait que tout était de sa faute me révulsait encore plus.

« Je te le répète, ce n'est pas ta faute. C'est la mienne. Je n'ai pas été assez prudent. Je me suis complètement laissé aller et j'ai fais connerie sur connerie. Tu n'es responsable de rien de tout ça. Enlève toi ça de la tête, veux-tu ? »

Ça aurait fini par arriver, à un moment ou à un autre. A force de jouer avec le feu, j'avais fini par m'y brûler. Et elle en payait le prix, tous les jours, rien qu'avec cette planque dans laquelle je l'avais emmené en refusant de me séparer d'elle. Une décision égoïste, prise par peur qu'il ne lui arrive quelque chose. Et maintenant ? Maintenant on se retrouvait comme des cons dans une planque encore plus moisie que notre ancien appartement.

« Ça n'a rien à voir avec toi ma puce. Je suis juste.. Perdu. Par rapport à toi, aussi. Je ne savais pas quoi penser de tout ça. Je ne savais plus comment agir avec toi. J'avais juste l'impression que tu voulais m'éloigner de ta vie, que notre lien se brisait, peu importe ce que je pouvais faire.

« Je sais que je passe beaucoup de temps en dehors de la maison. Je te promet que tout ça est provisoire. On va se trouver un nouvel endroit, rien qu'à nous. »

Une belle maison. Un grand appartement, avec tout le luxe que je m'étais refusé ses dernières années. Je voulais lui offrir tout ce dont elle avait besoin, me rattraper, sous tous les plans, en commençant par passer plus de temps avec elle, comme lorsqu'elle était arrivée dans ma vie. Nos soirées films me manquaient cruellement.

« Je ne te détesterais jamais. Tu ne me perdras jamais. Jamais à cause de ça. A partir de maintenant, je ne veux plus de mensonges, d'accord ? Je veux que tu me parles de tout, peu importe ce qui se passe. »

Je lui offris un sourire rempli de tendresse, mes mains de part et d'autre de son visage afin d'avoir son attention. Je voulais que ça change. Que nous arrêtions de fuir, l'un comme l'autre.