La musique avait toujours été un réconfort pour Solveig. Avant même que l’informatique n’entre dans sa vie. C'etait d'elle qu'il tirait son nom. Son enfance avait été bercée par la variété italienne qu’écoutait son père et sa nonna, mais surtout les mélodies qu’écoutait sa mère, Motown, Rock classique et musique classique. Bien sûr, Solveig n’écoutait pas que ça, il aimait énormément de styles mais ces derniers restaient ses préférés. Rien de telle que la voix mélancolique de Stevie Wonder ou la chaleur de celle d’Otis Redding pour calmer les nerfs et être en paix avec le monde. C’était une passion qu’il avait tenter de transmettre à sa fratrie avec plus ou moins de succès. Enfin, Matteo donnait plus dans le rap ou la pop mais toutes ses soeurs, surtout les deux plus jeunes appréciaient, c’était au moins ça. Les heures que Solveig avait passé à les bercer en leur chantant My Girl n’avaient pas été en vain.  

Cette passion pour la musique l’accompagnait toujours, et s’il ne savait pas jouer d’un instrument, il savait qu’il avait une voix agréable. Mais ce qu’il aimait encore plus que le chant, c’était simplement d’écouter, installer confortablement, une tasse de thé à la main. Ca faisait quelque temps qu’il économisait pour s’offrir un tourne-disque parce que vraiment, il n’y avait que comme ça qu’on appréciait vraiment la Motown. Solveig ne demandait pas la Lune, il ne voulait pas un appareil dernier cri, mais il ne voulait pas non plus un truc d’occasion miteux qui le laisserait au bout de dix minutes. Il avait bien failli y parvenir plusieurs fois mais Isabella avait eu besoin d’un nouveau manteau et Livia d’un nécessaire de peinture et l’argent s’était envolé comme ça. Une autre fois, Anya était tombé malade et il avait fallu payer le médecin et les médicaments. Solveig ne désespérait pas cependant, il y parviendrait bien un jour.

En attendant, dès qu’il en avait l’occasion, il se rendait chez un disquaire du marché aux puces pour éplucher le stock et fantasmer sur ce qu’il pourrait, peut-être, s’offrir un jour. Et c’était exactement ce qu’il faisait à cet instant précis. En pleine exploration des vinyles offerts à ses yeux, il prêta soudain attention à la musique qui passait dans la pièce. Hey Love de Stevie Wonder. Le sourire qui ourla les lèvres de Solveig aurait pu générer sa propre énergie. Il reprit son lèche-vitrine en chantonnant pour lui-même, histoire de ne pas déranger la personne qui était dans la même allée que lui.

-Hey love / There's one thing I find so true / When you are near me …

Tout à son activité, le jeune homme n’aperçut pas un des fils par terre, se prit le pied dedans et s’écroula au milieu de l’allée de la musique classique avec la discrétion d’une alarme DEFCON 1. Avec la force de l’habitude, Solveig se releva sans tarder … et se cogna contre quelqu’un.

-Pardon, pardon, je suis désolé, j’ai pas fais attention. Je ne vous ai pas fais mal j’espère ?

Solveig dans toute sa splendeur quoi.

La maladresse de Solveig tenait plus de la maladie chronique que de la caractéristique. C’était simple, depuis toujours, il se cognait dans tout et avait parfois du mal à marcher tout droit sur une surface parfaitement plane sans trébucher sur lui-même. Une maladresse qui n’avait fait qu’augmenter à la puberté, quand il avait eu sa poussée de croissance. Elle était arrivée trop vite et tout à coup, Solveig ne contrôlait plus son corps trop dégingandé aux membres trop grands. Tout ça s’était heureusement calmé après qu’il ai appris à contrôler et au fur et à mesure des années, Solveig avait été suffisamment désensibilisé par ses chutes à répétition qu’il ne ressentait plus vraiment grand chose lorsque cela arrivait, malgré les bleus toujours aussi impressionnant sur sa peau pâle qui marquait si facilement. Parfois, Solveig se demandait s’il n’avait pas un problème médical mais il n’avait jamais eu les moyens pour subir ce genre de test. Il avait donc fait comme tout le monde et était allé sur Google en évitant Doctissimoà tout prix. il était déjà d’un naturel anxieux, il avait pas en plus besoin qu’on lui dise qu’il avait un cancer ou une maladie orpheline. Il avait fait des recherches sérieuses donc et avait fini par tomber sur une explication sensée, un problème d’oreille interne.

Franchement, ça lui faisait une belle jambe tout ça, vu qu’il ne pouvait pas remédier au problème de toute façon, mais il était content de savoir, au moins pour sa tranquillité d’esprit. Bien sûr, ça ne changeait rien à la honte qu’il se payait à chaque fois que ça lui arrivait en public, à savoir tous les jours tout le temps, comme maintenant. Heureusement, l’endroit n’était pas vraiment bondé. Tout aurait pu s’en tenir là, quelqu’un s’adressant déjà à lui pour l’aider, s’il ne s’était pas relevé trop brusquement, se cognant contre le bon samaritain au passage.

Solveig se confondit en excuse, évidemment, tout en rougissant de honte. Il laissa ses yeux parcourir le visage de l’inconnu, s’assurant de ne pas l’avoir blessé par accident. Il remarqua au passage qu’il était particulièrement beau. Oh oh, nope, il se connaissait, s’il commençait à penser comme ça, il s’emmêlerait les pinceaux et se mettrait encore plus la honte.

« Vous devriez faire attention où vous mettez les pieds. Il y en a partout ici. C'est facile de se faire mal. »

Solveig se dépêcha de le rassurer, lâchant un petite rire embarrassé au passage.

-Oh non, ne vous inquiétez pas, ça m’arrive tout le temps. J’ai été distrait par la musique qui passe. Même s’il n’y avait pas eu ce fil, j’aurai trouvé le moyen de trébucher que quelque chose.

Souhaitant changer de sujet, avec la subtilité qui était la sienne, Solveig jeta un oeil autour de lui opur tomber sur une des caisses que l’autre homme avait désigné. Un titre attira son attention.

-Oh …

Il s’agenouilla et commença à bouger les vinyles, jusqu’à atteindre celui qui l’intéressait. Le Carnaval des Animaux de Camille Saint-Saëns, en double vinyle. Waw … Solveig sortit délicatement le carton de la caisse, observant sa trouvaille avec de grands yeux et un sourire émerveillé. Il adorait la Motown, certes, mais son premier amour restait la musique classique. Il leva la tête vers l’inconnu qui était toujours près de lui et lui décocha un sourire radieux en lui montrant la jaquette. Solveig devait partagé sa joie avec quelqu’un.

-Est-ce que c’est pas merveilleux ? J’aurai jamais pensé trouver ce genre de disque au marché aux puces ! Je ne sais pas si vous connaissez mais c’est vraiment rare !

Il rit encore, toujours assis sur le sol, tournant et retournant le vinyle.

C’est avec surprise que Solveig constata que l’inconnu au magnifique regard chocolat l’avait rejoint au sol. Le jeune étudiant s’était attendu à le voir continuer son shopping ou prendre la poudre d’escampette après avoir accompli son devoir de bon citoyen mais non ! Il manifesta même un enthousiasme aussi profonde que le sien en découvrant la trouvaille entre ses mains. Solveig était un adorateur absolu de Camille Saint-Saëns, en particulier du Carnaval des animaux et surtout de Volière[i] et bien sûr [i]Le Cygne. Il rêvait de pouvoir un jour les interpréter lui même mais ça ne semblait pas à l’ordre du jour. Il n’avait clairement pas les moyens de se payer des cours et encore moins un instrument digne de ce nom.

Il laissa l’inconnu lui prendre le vinyle sans rechigner, observant distraitement, pendant quelques secondes, les longs doigts qui tournaient et retournaient le carton. Lorsqu’il lui affirma s’y connaitre, le sourire de Solveig ne fit que grandir un peu plus. Peut-être avait-il trouver quelqu’un avec qui partager son amour pour la musique classique. Il se dépêcha de le rassurer lorsqu’il lui partagea son envie de l’acheter.

-Oh tu peux le prendre sans problème. Je n’ai pas les moyens de me l’offrir, ni même de quoi l’écouter donc au moins, il ira à quelqu’un qui l’appréciera à sa juste valeur.

Un peu nerveux, Solveig avait tendance à parler vite et à se laisser aller à la logorrhée. Il accepta la poignée de main et se présenta à son tour en rougissant. Ce prénom était très joli !

-Enchantée, moi c’est Solveig.

La poignée de main s’éternisa un peu, Solveig aillant été distrait en attrapant le regard de l’autre. Retirant sa main rapidement, il rougit un peu plus et se hâta de détourner la conversation.

-Tu penses qu’on pourrait demander au proprio de nous laisser l’écouter ? J’aimerai beaucoup écouter Volière.

Il se releva un peu trop vite, se cogna la hanche contre l’étalage mais ne tomba pas.

-Qu’est ce que tu aimes d’autres en musique classique ? Ou en musique tout court d’ailleurs ?

Il ne voulait pas que cette discussion se finisse et ne plus jamais revoir ce presqu’inconnu.