Anecdotes / Caractère

Des anecdotes...Comment pourrait-il y avoir des anecdotes lorsque l'on perd tout? TOUT. Entendez-vous cela? L'avez-vous déjà vécu dans votre chair, en votre âme, en votre esprit? Les crocs de l'Enfer vous déchiquettent au noir d'une vie minable, brisée. L'insignifiant d'une bagarre pour un bout de carton afin de ne pas crever de froid. Bouffer en cachette dans les supermarchés, baisser la tête aux regards des autres. Trembler de peur et de faim. Rire bourrée, se sentir heureuse, enfin, une bonne dose de coke dans les narines. Se laver sans savon, puer de la gueule, pleurer toutes les larmes d'un monde perdu. Plus jamais elle ne dansera, plus jamais elle ne s'endormira aux anges. La désespérance qui va et vient, telle une amante insolente et glorieuse. Hurler en silence. Ce silence d'Être...Omniprésent en ces putains de jours qui fuient la nuit sans cesse. Alors, oui. Ce sont sans doute des anecdotes. N'en n'était-elle pas une à elle toute seule? Seule dans la brume sombre...

Crucifiée pour une résurrection. Elle n'eut pas le courage ou la lâcheté de se suicider. Elle rêvait quelquefois, éternelle optimiste aux aurores nouvelles. La ville endormie ne pouvait contempler la rosée qui flottait dans les airs avant de perler si joliment sur un grain de macadam. Elle suivait d'un œil attendri le vol d'un piaf, s'amusait aux chipotages des pigeons. Et puis parfois, rarement, l'authentique sourire d'un passant. Ça lui embaumait doucement les veines. Ce n'était qu'un mauvais passage, un creuset de ténèbres qui s'amusait à éprouver son courage et sa ténacité. Quelque chose en elle l'empêchait de sombrer totalement.
Une résilience. Un boulot qui sauvait quelques heures. Elle s'en retournait, emplie d'espoir. Il y avait pire en ce bas monde.
When you're happy, you enjoy the music. When you're sad, you understand it-D.Chappell

Histoire

La déchéance. Humiliante, désespérante, de celle qui s'acharnait sans relâche telle des loups affamés. Elle y avait cru pourtant à ses rêves. Peindre, c'était sa passion, son obsession. L'alter ego des émotions secrètes, des larmes et des rires. Qui aurait pu comprendre ? Une symphonie silencieuse vibrait entre les gestes et la toile. Elle entendait les couleurs, contemplait l'infini palpitant aux traces des pinceaux. Elle n'y vivait jamais seule, là où il n'existait personne, là où il n'y avait que la création pure. L'instant de grâce perdurait au fil des heures. Elle oubliait tout, ne pensait à rien, comblée d'Absolu.

Rouge

-Une école d'art ? Tu plaisantes ?
Le ton doucereux ne présageait rien de bon.
-Hors de question. Tu n'aboutiras à rien, c'est du vent, de la merde. Fais ça et tu dégages. T'auras pas intérêt à venir chialer.
Le père se retint de lui en coller une. Le mug qu'il tenait à la main s'éclata au sol. L'épouse ne disait rien. De toute manière, elle ne disait jamais rien. Elle ramassait les débris. C'était ça, sa tâche : ramasser les morceaux des objets brisés et nettoyer. Inutile de parler, n'est-il pas.
-Mais...
Soledad résista, rebelle. Elle n'avait aucune envie de foutre sa vie en l'air pour faire plaisir à un géniteur violent. Le glas d'un quotidien difficile mais habituel sonna.
Elle aurait pu en vivre, au moins cela, avant même peut-être, de devenir célèbre. Mais les belles histoires ne se réduisaient qu'à celles écrites dans les romans et racontées le soir aux enfants. Le diplôme de la School of Visual Arts brilla de mille feux quelques temps, avant de s'éteindre lentement mais surement. L'arc en ciel de l'avenir se teinta peu à peu de gris, de sombre.

Noir

Vint un temps sans boulot, si long...Trop long. Étrange période où il n'y eut plus d'argent pour payer le loyer. Les placards vides trônaient leur solitude, les meubles indispensables disparurent, happés pour quelques dollards. Elle eut faim. Mais le pire allait lui tomber sur la gueule sans crier gare.

Noir foncé

Elle finit par se retrouver à la rue, explusée...Et rejoignit, la mort dans l'âme, la grande armée des errants de Bedford Stuyvesant. Le premier soir...elle paniqua, coincée entre Ciel et Terre, ailleurs et ici, recroquevillée sur le béton dur d'une devanture décrépie. Haletante, elle respirait sans air, pitoyable asthmatique d'une vie pourrissante. Elle avait choisi, elle devait aller jusqu'au bout de ce cauchemar. Les rêves s'en étaient allés, il n'y avait pas d'échappatoire.
L'orgueil l'empêcha de se réfugier chez ses parents ou des amis, lui offrant la grâce d'une liberté fière et insolente mais ça l'enfonça dans un sordide subi dont elle mesura si vite la cruelle réalité.
Bientôt, la gangue d'une saleté de rue l'enveloppa toute entière. L'esprit malade de dégoût, avilie, il y eut tous ces jours et ces nuits d'horreur. L'Enfer au creux des mains, au bout des pieds blessés. L'acide d'un quotidien inhumain qui rongeait la moelle et les os.

Blanc

Il y eut la drogue. Un peu, parfois beaucoup. Pour oublier, pour ne plus rien ressentir. Elle errait alors à travers les mornes trottoirs, coquille desséchée pleine de néant, poussée par un vent toxique et sans pitié.
A toute ombre sa lumière.

Et puis...il y eut ce crépuscule miraculeux où l'antre d'un miracle s'ouvrit à l'Espoir. Nikolaï. Il lui sauva la peau, se battant avec un ivrogne qui en voulait à ses maigres affaires. Il fallut du temps, de ce temps mystérieux qui tisse des liens invisibles mais solides. Quelque chose de nouveau éclot alors: une amitié de galère, une amitié d'entraide qui les ressuscita au glauque des heures sans soleil.

Elle sommeille sur un carton épais et tâché.
La nuit va tomber
Tombe la pluie sans bruit
Et ruisselle la lumière des héros sans voix
A l'ombre étroite des étoiles de minuit
Ó.Arnalds-Not Alone

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