La nuit est déjà tombée sur New York, drapant la ville d'un filet d'étoiles. On pourrait presque les observer, sans toutes ses lumières et cette pollution propre à la ville. Presque. Heureusement, la voix de Jonathan Roy résonne dans ma voiture, pour mieux me faire oublier la circulation désastreuse de la métropole. Les notes de blues mêlées à la voix de l'artiste ont le don de m'apaiser un tant soit peu.  Je lance un regard à ma montre, tapote mon volant de mes doigts, perdu entre stress et rythme. Mon esprit divague à la rencontre de mes souvenirs avec Maggy. Ça fait des années maintenant. Trop ou pas assez, je ne saurais le dire. Ce qui est certain, c'est que j'ai été surpris de recevoir son message ce matin. Comme si de rien était, après si longtemps. C'est digne d'elle après tout.

Je me rappelle de notre rencontre comme si c'était hier. Une femme forte, ambitieuse, menée par un caractère de feu dans un corps de rêve. Le genre de femme que l'on oublie pas. A la fois froide et passionnée. Pas le genre à se laisser impressionner. Nous nous étions tout de suite très bien entendu, au delà de nos statuts et de nos alliances. Maggy n'est décidément pas une femme comme les autres à mes yeux. Nous nous étions quittés en bon termes, sans savoir si nous nous retrouverions un jour, mais avec la certitude d'avoir profité de l'instant comme il se devait. A l'époque, c'est bel et bien comme ça que je menais ma vie, loin de toutes mes dérives actuelles, avec l'ambition de continuer sur ma lancée. Avant que tout ce pète la gueule en beauté.

Alors bien sûr, je me laisse aller à sourire en arrivant enfin devant sa porte. Je gare ma voiture, sort de l'habitacle sans attendre en rattachant le bouton de mon costume. Mes pas me mènent jusqu'à la porte. Un dernier regard à mon poignet, je m'assure de ne pas être en retard. Pile à l'heure. Je sonne avant de reculer d'un pas, mon regard explorant distraitement la bâtisse. J'ai hâte de savoir la raison pour laquelle mon amie est de retour en ville.

La porte s'ouvre sur la silhouette de la brune. Mes iris s'égarent brièvement sur elle. Toujours aussi ravissante. Elle n'a pas changée. Le temps ne semble pas avoir eu de prise sur elle, contrairement à moi. Ou plutôt dû à l'alcool que j'ingurgite bien plus qu'avant. J'argue un petit sourire, ravi de la revoir, accueillant son furtif baiser sur ma joue en le lui rendant en miroir.

« Toujours aussi ravissante. »

Je lui rends sa liberté, m'éloignant de la porte d'un revers de main en lui offrant mon bras pour l'inviter à me suivre.

« Moi aussi, je suis heureux de te voir. »

J'attends qu'elle ferme sa porte avant de nous avancer vers ma voiture. J'ouvre la portière côté passager, la laissant prendre place en la claquant derrière elle. Mes pas font rapidement le tour du véhicule pour rejoindre mon assise. Je m'installe confortablement et en un rien de temps, nous voilà partis sur les routes de la ville, rejoignant la circulation. Au premier feu rouge, je baisse légèrement le son de la radio, assez pour que nous puissions nous entendre.

« Est-ce que tu as déjà mangé ? Que dirais-tu d'un restau plutôt qu'un simple verre ? »

D'un coup d'oeil, j'avise la réaction de la belle brune. Après toutes ses années, partager plus qu'un simple verre avec elle pour rattraper le temps perdu me semble plus approprié. Je passe une vitesse, quittant son visage pour revenir à la route en traversant le carrefour sur les chapeaux de roues.

La belle accepte, invitant un fin sourire sur mes lèvres. Parfait. Je sais exactement où aller. Un restaurant que j'affectionne particulièrement et où j'ai l'habitude de me rendre, lorsque l'envie me prends. Le propriétaire est devenu un ami, au fil des années. Un très bon ami. Je ne compte plus le nombre de fois où il a fermé le restaurant plus tard juste pour mes beaux yeux, où pour finir une conversation entamée déjà bien des heures auparavant. Ce sera parfait.

Le silence entre nous s'installe rapidement dans l'habitacle. Rien de gênant, ni d'anormal, étant donné la situation. Je brûle de tout savoir sur ce qui l'amène ici, maintenant, à New York, au moins autant que de comprendre pourquoi est-ce qu'elle a reprit contacte avec moi après toutes ses années. Mais nous ne sommes pas pressés. Les questions attendront. Nous avons toute la soirée pour les poser.

Nous arrivons finalement devant un bâtiment détonant clairement dans le paysage. Un peu en retrait des autres, doté d'une architecture digne des restaurants typiques du sud. Des murs couleurs occres, un jardin magnifique ainsi qu'une terrasse luxueuse où le nom de l'établissement à été savamment déposé en lettre fines. Ici et là, une multitude de lumières accueillent les clients jusqu'à l'entrée. Il y a de la lumière à l'intérieur, bien que l'endroit semble quelque peu désert. Ce n'est pas plus mal, nous serons plus tranquille ainsi. Loin de me démonter pour autant, je gare la voiture proche de l'entrée, coupant le contact. Toujours sans un mot, je regagne le froid de la nuit New-Yorkaise, réajustant mon costume en tournant autour de la voiture pour rejoindre mon hôte, l'invitant à m'imiter. Bien vite, nous arpentons le petit chemin menant jusqu'à l'entrée, au moment même où les lumières s'éteignent à l'intérieur. Un homme sort du bâtiment, verrouillant la porte derrière lui. C'est lui, le propriétaire.

« Bonsoir Kaylan. Tu fermes plus tôt ce soir ? »

L'homme me dévisage, juste avant de me reconnaitre.

« Hey, salut Léo. Oui désolé, ma femme à besoin de moi ce soir. »
« Je vois. Tu crois que tu pourrais me laisser les clés ? »

Il semble hésiter durant quelques secondes, le temps de passer son regard sur Maggy, puis de revenir vers moi.

« Bien sûr mon gars ! Fais comme chez toi ! » dit-il en s'avançant vers moi, sourire aux lèvres.

Il m'offre les clés dans un clin d'oeil entendu. Je lui accorde un sourire avant qu'il se s'éclipse, me tournant à nouveau vers Maggy.

« Il apparait que nous avons le restaurant pour nous seuls ce soir. J'espère que cela ne te dérange pas. »

Je la quitte le temps de déverrouiller la porte, rallumant la lumière. A l'intérieur, tout est rangé, mais l'ambiance est encore bien présente, alimentée par le feu de cheminée crépitant encore dans la pièce. Il fait divinement bon ainsi. Je dépose les clés sur le comptoir à ma portée puis me tourne vers la jolie brune pour la débarrasser de son manteau, que je dépose sur l'un des porte-manteaux vides avant d'investir la pièce, direction les cuisines. L'endroit immaculé nous accueille. Tout a été soigneusement étudié pour répondre à la demande des clients le plus efficacement du monde. J'avance vers une pièce un peu plus loin, y découvrant ce que je cherche, la cave à vins. Je reviens avec une bonne bouteille, que je dépose sur la table, suivis de deux verres à pieds.

« J'espère qu'il te plaira. C'est l'un de mes préférés. »

Je sers les coupes, glissant la sienne à sa rencontre en observant sa réaction, m'emparant de la mienne pour en humer l'odeur. Je fais doucement tourner le verre avant de l'inviter à trinquer, faisant résonner le tintement caractéristique du verre dans la grande cuisine vide.

« A nous. »

Je goûte le liquide, satisfait de mon choix, avant de redéposer le verre sur la table. J'enlève alors ma veste, la déposant dans un endroit sûr, puis déboutonne mes manches pour les remonter, me tournant vers les réserves.

« Je ne suis pas aussi bon cuisinier que Kaylan mais, je pense réussir à nous préparer quelque chose de bon ce soir. Qu'est-ce qui te ferait plaisir ? »

Je souris. Des pâtes ce sera. Je m'empare de tout ce dont je vais avoir besoin aux quatre coins de la cuisine. Je choisis quelques légumes, des herbes, ainsi que des pâtes aux orties, typique du restaurant dans lequel nous sommes.

« Ça devrait aller, je te remercie. »

J'étale le tout sur le plan de travail après avoir déposer les poêles et casserole sur les feux, choisissant un couteau approprié après avoir lavé mes mains. Je m'exécute alors, commençant par couper les légumes en dés.

« Alors, raconte moi. Qu'est-ce qui t'amène à New York ? »

Je m'applique à la tâche d'un mouvement habitué, découpant les portions avant de les jeter dans la poêle en me retournant. Je reprends un peu de vin, puis m'y remet, accordant un regard à l'italienne qui semble avoir du mal à se détendre complètement. Le temps où elle me faisait entièrement confiance me parait d'un coup bien loin lorsque j'observe ses sourcils légèrement froncés sur son minois. Je ne lui en veux pas pour autant. Dans notre milieu, il n'y a rien de plus normal que de ce méfier de l'autre. Question de survie.

« J'avoue que j'ai été surpris en recevant ton message. Ça fait quoi, six ans ? »

Notre relation datait d'avant mon mariage. Avant ma rencontre avec Ezekiel. Six ans donc. Un temps relativement long et court en même temps. Les années passaient trop vite à mon goût, bien trop, lorsque je prenais la peine d'analyser mon passé. Et d'un autre côté, j'aurais tout fait pour écourter tout ce temps ses trois dernières années. Si j'en avais eu le courage, jamais je n'aurais pu à nouveau poser mes yeux sur la jeune femme. Le destin avait parfois de drôle de façon de nous faire garder les pieds sur terre.

Le travail. Maggy est donc toujours la même, accrochée à son gang comme jamais. C'est bien pour elle. Je suis content que sa place l'ai ramenée ici. Je suis heureux de pouvoir la retrouver, même si ce n'est plus comment avant. Les choses changent. Certaines restent marquées au fer rouge. Son job en fait partie.

« Je vois. »

Je quitte son visage, poursuivant mon oeuvre. Je diminue le feu de l'eau bouillante pour y plonger les pâtes, me tournant ensuite vers la cuisson des légumes. Quelques herbes, un peu d'huiles, un petit poêlon pour la sauce. Je choisis cette dernière avec soin, avec l'intention de l'incorporer en dernier. Le temps de trouver un peu de parmesan que je m'applique à passer à la râpe. Je laisse échapper un fin soupir à sa question. Ce que je deviens. Question vaste. Bien trop pour que je puisse tout résumer en une phrase. Mes yeux s'assombrissent quelque peu. Je ne sais pas par où commencer.

« Tu sais... Pas grand chose en fait. Je me suis retiré. Je ne suis plus à la tête des W. Ça fait déjà trois ans maintenant. Je fais ce que sais faire de mieux maintenant, débarrasser le monde de la vermine grouillante de New York. Le tout pour un bon prix, tu t'en doutes. »

Je reprends un peu de vin, prenant un temps de pose après en avoir fini avec le fromage. J'imite mon amie, m'appuyant contre le plan de travail en éloignant les ustensiles donc je n'ai plus besoin.

« Je me suis marié, aussi. » avouais-je en agitant le doigt où reposais toujours mon alliance, reprenant une gorgée aussi sec. « Ça a duré deux ans. Il s'est fait tuer. C'est après ça, que j'ai quitté les W. »

Je ne tentais pas de sourire, ni même d'effacer la gêne d'une pareille nouvelle. Maggy et moi savions parfaitement ce qu'il en était d'oser aimer dans ce genre de milieu. Rares étaient les relations qui tenaient sur la durée, pour les mêmes raisons que celles qui m'avaient arraché Ezekiel.

« Et toi ? Qu'est-ce que tu deviens ? »

A son tour de m'en dire plus, s'assouvir ma curiosité. J'étais certain qu'il n'y avait pas que le boulot, comme nouveauté de ses dernières années.

« Ezekiel. Il s'appelait Ezekiel. »

Et prononcer son nom m'arrache toujours le coeur, comme si il nous avait quitté la veille. Maggy me présente ses excuses comme il est d'usage, avec toute l'empathie dont elle est capable. Je lui adresse un faible sourire, la remerciant silencieusement avant qu'elle ne m'annonce le meurtre de son propre mari, il y a de cela quelques semaines. J'ai à mon tour envie de prononcer mes condoléances, mais à la place, c'est un sourire qui sort. Je ne peux pas m'en empêché. Je suis rassuré. Son mari était une raclure de la pire espèce. Je ne l'ai jamais rencontré, heureusement pour lui, sinon je l'aurais tué. J'ai toujours exécrer les hommes frappant les femmes, qu'importe la raison.

« Félicitations. Tu dois être soulagée. Tu as quelqu'un dans ta vie maintenant ? »

Je retourne à mes fourneaux. Les pâtes sont prêtes. J'attrape des maniques, éteint le feu puis les retire, les versant dans l'évier le plus proche en veillant à ne pas me brûler au passage. Je récupère les féculents que je sers dans des assiettes, rajoute les légumes, la sauce, puis les herbes, pour finir en beauté par le parmesan que j'applique en quantité raisonnable. Ce sera parfait. Je glisse l'une des assiettes devant elle, lui offrant un sourire sincère avant de lui confier des couverts.

« Et voilà. Bon appétit. »

Je reprends un peu de vin avant d'aller me chercher une chaise, m'asseyant enfin à mon tour. Il n'y avait plus qu'à déguster !

Du coin de l'oeil, je guette la réaction de l'italienne. C'est seulement lorsque son visage me confirme qu'elle aime ce qu'elle goûte que je me permet de l'imiter. Arriver à faire apprécier un tel plat à une italienne est bel et bien un exploit en soit. A mon tour, mes papilles se régalent du met pourtant bien simple. Un léger sourire trace mes lèvres. C'est réussi. Pas parfait, mais réussi. Je rajouterais bien une ou deux herbes pour la route, mais je préfère endormir mon perfectionnisme le temps que Maggy m'avoue avoir bel et bien quelqu'un dans sa vie. Je ne suis pas surpris le moins du monde. Je ne connaitrait sans doute pas son nom, mais je me contente de l'information, planquant ma curiosité. Peut-être en saurais-je plus, un jour.

La conversation reprend lorsqu'elle me renvoie ma question. J'avale une bouchée, reposant mes couverts contre l'assiette le temps de lui répondre, vérifiant à l'aide de ma serviette qu'aucune sauce n'est venu s'inviter dans ma barbe.

« Non. Rien de sérieux. L'engagement, ce n'est plus pour moi. »

Rien de moins que la vérité. Je refuse. Mon coeur appartient encore aujourd'hui à Ezekiel et il en sera sans doute toujours ainsi. Pourtant, les occasions se sont présentées, au fil des années, mais je me les suis interdit. Pour toutes les raisons qui font que j'ai regretté mon mariage. Constater le résultat de ma précédente relation était bien trop révélateur à mon goût. Ce n'était pas pour moi.

« Il est à New-York, ton nouvel amour ? Tu l'as emmené avec toi ? »

Curiosité maladive. Je veux quand même tenter d'en savoir plus sur l'homme qui a réussi à décrocher le coeur de la belle italienne.

Mes lèvres s'arquent en un fin sourire pour toute réponse. La charmante compagnie, ce n'est pas ce qui manque, surtout lorsque l'on traine avec des personnes comme Marion. Mais de là à en profiter, il y a tout un monde. A croire que je suis devenu bien difficile avec les années. Seule Gene, réussi à combler mes envies lorsqu'elles se présentent. Pour cela, la brune me manque, je ne peux pas dire le contraire. Cette époque, à elle seule, lorsque nous passions quelques nuits passionnées ensemble, à tendance à parfois cruellement me manquer, pour bien des raisons.

« C'est que je suis devenu difficile. Trouver une perle comme toi est loin d'être aisé.  »

Elle enchaine, m'en révélant enfin un peu plus sur elle tandis que je replonge dans mon plat. L'heureux élu n'est donc pas d'ici. Cela ne m'étonne guère. Je serais bien curieux de le rencontrer. L'homme doit être impressionnant, aussi physiquement que mentalement, pour avoir réussi le coup de maitre d'avoir fait faiblir la belle dans les joies de l'amour.

« Je connais. J'y passe de temps en temps. Je ne suis pas aussi doué que je le voudrais aux jeux malheureusement. » avouais-je dans un rire sincère. « Je suis content pour toi. Autant pour tes amours que ta place. Je suis certain que tu mèneras les affaires d'une main de maître. »

Une lampée de vin accompagne mes mots. Il se marie divinement bien avec le plat. Une aubaine. Sa saveur fruité mêlé aux épices est un vrai plaisir gustatif.

« Si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas. Je me ferais un plaisir de te faire découvrir quelques secrets bien gardés de la ville. »

Un sourire m'échappe. Une femme comme elle, je pourrais la chercher toute ma vie, c'est certain, si du moins j'en avais l'envie. Dans une autre vie, j'aurais sans doute voulu être à son bras, réussir à gagner son coeur comme a réussi à le faire l'homme qui le fait battre en ce moment. Dans celle-ci, les plaisirs de la chair m'étaient devenu suffisant. Dans celle-ci, je préférais être seul, pour ne pas prendre le risque de faire souffrir qui que ce soit, comme je prenais déjà ce risque avec ma filleule.

« Bien sûr. Je ne manquerais pas de passer dès que l'occasion se présentera. »

J'imite ma comparse en continuant ma dégustation, prenant mon temps entre chaque bouchée, laissant trainer mon regard le long de la belle. Sa robe lui va à ravir. Son visage n'a vraiment pas changé avec les années. Elle dégage toujours la même assurance, le même charme dévastateur. J'esquisse un sourire mutin.

« Je connais tout de cette ville. Peu importe ce que tu cherches, ce dont tu as envie ou besoin, tout est possible. Absolument tout. »

Mes prunelles se marient aux siennes, laissant planer le mystère de mes mots. Je reste flou dans ma réponse, comme je l'ai toujours été, refusant de dévoiler mes secrets aussi facilement. Mes gestes reprennent, amenant une nouvelle bouchée entre mes lèvres avant une nouvelle gorgée de vin.

Durant un instant, le temps fut surpendu dans les airs. Infime et révélateur de mes intensions. Je ne m'en cachais pas le moins du monde. La réaction de la brune traduisait son hésitation avant que le temps ne reprenne son court le plus normalement du monde. Son sourire embelli un peu plus son délicieux visage avant qu'elle ne reprenne une gorgée de vin. Je l'imitais, tout ouïe de la moindre de ses demandes.

« East New-York, sans hésitation. Tu seras tranquille là-bas. »

C'est d'ailleurs le quartier que j'aurais dû moi-même choisir lorsque j'avais revendu mon appartement. Mais à l'époque, je me fichais bien de l'endroit où je pouvais vivre. Alors Brownsville, aussi pourri soit-il, c'était imposé naturellement pour la personne que j'étais devenue.

« Brownsville. Je te le déconseille franchement. Toute la racaille de New-York y habite. J'ai fini là-bas après la mort de mon époux. »

Je préférais ne pas m'étendre sur le sujet, mais je savais qu'elle comprendrait, même sans que je ne le dise de moi-même.

Je ne peux pas m'empêcher de tiquer sur sa réponse. Oui, pourquoi Léo ? Pourquoi continuer à vivre dans un appartement sans double vitrage, dans un quartier pourri jusqu'à la moelle, alors que je pourrais clairement me payer quelque chose dans les beaux quartiers ? Je souris brièvement en reconsidérant la question une fois de plus, comme j'ai pu le faire assez souvent ses derniers temps, les yeux plongés dans le liquide carmin reposant dans mon verre.

« Parce que l'endroit où je vis n'a aucune importance. »

Le luxe, sauf avec Eze, ça n'a jamais été pour moi. Je suis né dans la rue, à Brownville même, dans la crasse et la misère, alors, elles me glissaient dessus, littéralement. L'envie de goûter à autre chose avait beau parfois m'effleurer l'esprit, je savais que je n'étais pas prêt de déménager du truc miteux dans lequel je m'étais enlisé.

« Avec grand plaisir. Tu n'auras qu'à m'appeler. On organisera ça. »

Je lui offre l'effleurement d'un sourire en vidant mon verre pour de bon, imaginant déjà une poignée d'endroits qui pourraient lui plaire. Ce faisant, mon assiette se retrouve vide, ne reste plus que le vin à portée des lèvres.

« Raconte moi ton histoire avec ton amour, je suis curieux. Comment l'as-tu rencontré ? »

Si elle comprend ma position, je n'ai aucun mal à comprendre la sienne également. Nous avons beau être similaires sur beaucoup de choses, j'ai eu la chance d'être plus libre qu'elle à ce propos, de ne jamais me laisser enfermer dans un quelconque carcan. Certains avaient essayé, il y a longtemps, mais ils n'étaient plus là pour en parler aujourd'hui. J'étais d'autant plus heureux pour elle, qu'enfin elle trouve une liberté durement gagnée.

« Je comprends. Je t'aiderais à trouver l'endroit parfait. »

Et elle savait, que ce n'était pas des paroles en l'air. Si elle en avait envie, bien évidemment. A moins qu'elle réserve cette tâche à son amant, ce que je pouvais aisément comprendre. Et justement, elle fini tout de même par parler de lui. Je lâchais un faible sourire en entendant ses explications. Une fois encore, je ne pouvais que respecter son choix de ne rien me dire, ayant moi aussi vécu un tel amour.

« Fais attention Mag, à ce qu'un tel amour ne te détruise pas. Et profite, autant que tu le peux. De toutes les façons possibles. Ne rate pas un seul instant. Crois moi, ça passe vite. Beaucoup trop vite. »

Mes yeux se posèrent sur la bouteille presque vide. Je remplis nos verres, dissipant le sérieux de ma réponse dans le liquide avant d'aviser son assiette. Je souris.

« Satisfaite ? »

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