I. Le russe n’a jamais demandé à naître d’une mère soumise et d’un père violent. Pourtant, il vit le jour entre quatre murs immaculés à Washington et dès sa plus tendre enfance résonnaient le claquement des doigts de son paternel contre la peau frêle et déchirée de la femme qui le mit au monde. Déjà tout petit Yulian détestait son père, un vieil alcoolique aux mains souillées, à la mentalité disparate et à l’allure d’un véritable sociopathe qui se foutait ouvertement de lui, de sa scolarité ou bien des déboires qu’il pouvait connaître. Bien évidemment, cette situation rendit sa relation avec la maternelle extrêmement fusionnelle et bien que la voir tâchée de bleus le rendait fou, jamais il ne réussit à dissoudre ce mariage qui foutait leur vie en l’air.

Elle n’avait pas peur des coups, ni même des humiliations et rester enfermée à longueur de journée ne semblait pas la déranger. Sa seule crainte, nourrie par les menaces et les plaintes du garçon, était de le voir disparaître sans jamais revenir en la laissant seule avec l’homme dont elle était amoureuse mais qui se trouvait être également son bourreau. Le garçon finit néanmoins par partir, un sac sur le dos et presque rien pour survivre mais cette vision était bien plus séductrice pour lui qu’entendre le bruit résonnant des claques que sa mère se prenait dans la gueule qui brisaient son âme et la sienne en même temps.

Trouver chaque soir un nouvel endroit pour dormir sans jamais être sûr de ne pas crécher sous un pont le lendemain n’était pas ce qui lui faisait le plus peur. Ce qui était plus effrayant encore était d’imaginer devoir supporter la vue de la photographie de sa maternelle dans la nécrologie et il alimenta chaque jour de sa vie avec cette pensée insoutenable en essayant vainement de l’embrumer en se droguant.

II. Il atterrit finalement au Bronx en 2014 où il réussit à s’en sortir en dealant; pensant qu’il n’y avait rien qu’il puisse faire de mieux puisqu’il ne détenait aucun diplôme qui aurait pu faire de lui un postulant intéressant.
Yulian oubliait petit à petit la vie qu’il avait mené si longtemps à Washington, occultant ses géniteurs à coups d’injections et d’inhalations toxiques qui commençaient à faire défaillir son corps et son esprit.

Malgré tout, et sans jamais se défaire de toute la culpabilité qui stagnait au fond de lui, il se rendait à Washington de temps à autres pour visiter la femme la plus importante de sa vie, quand il savait qu’elle était seule, quand bien même si ce n’était qu’une poignée de minutes, rassérénant son coeur souvent meurtri par les hématomes et autres stigmates laissés par son bourreau.

Anastasiia faisait partie de ces femmes qui se soumettaient à la moindre remarque, aux moindres envies de son mari et si elle n’acceptait pas qu’on lui fasse remarquer, les langues se déliaient néanmoins parfois quand elle se retrouvait seule avec son fils qui ne cessait de lui répéter qu’elle était sous l’emprise de son propre mari. Yulian n’agit pourtant jamais, ne se confronta jamais à son géniteur dont il n’avait pas foncièrement peur mais dont la situation au sein de la Bratva l’empêchait de s’en prendre à lui.

Le russe finit par élaborer un plan qui ne vit jamais le jour, persuadé d’être capable de sortir sa mère de l’horreur dans laquelle elle se trouvait et faire de sa vie une renaissance qu’elle n’oublierait pas. Ainsi, Yulian oscillait entre le Bronx et Washington, essayant tant bien que mal d’organiser une échappatoire réglée à la minute près mais tout finit par avoir raison de lui; Sa mère était morte sous les coups de son père et il n’y pouvait plus rien, avait attendu trop longtemps pour effectuer son dessein, le précipitant virtuellement vers sa propre mort, grisant son être tout entier, flinguant son âme jusqu’au plus profond de sa moelle. Elle était sa seule raison de vivre, la seule femme pour laquelle il aurait donné sa peau, la seule pour laquelle il continuait de vivre malgré tout.

Le choc l’emporta vers une décadence complète. La drogue devint sa meilleure amie et l’alcool baignait ses soirs comme jamais elle ne l’avait fait. S’il n’avait pas trouvé la mort, cette dernière frappa à sa porte maintes fois sans parvenir à l’emporter complètement, dirigeant sa vie plutôt que lui donner un coup fatal.

III. Eden était là, faisant de la vie du russe une épopée moins difficile à supporter. Elle était belle, aimante et avait toujours les mots rassérénants dont il taisait ses besoins. Leur relation était tantôt ambiguë, tantôt très terre à terre et bien que leurs idées sur la question différaient largement, le russe avait fini par aimer la vie aux côtés de la blonde, aimer la manière dont elle rêvait sans cesse, aimer tout chez elle jusqu’à la moindre parcelle de sa peau immaculée mais avait détesté la façon dont elle était partie.

La blonde l’avait laissé, de nouveau tourmenté, de nouveau au bord de la dérive et seul pour toujours. Il avait rêvé cent fois de la manière dont elle aurait pu revenir, la manière dont elle aurait pu toquer à sa porte pour lui dire que finalement la vie qu’elle voulait mener n’était pas celle qu’elle désirait et que malgré tout, elle l’aimait plus que les voyages qu’elle se façonnait sans cesse.

La vie avait rattrapé le brun, lui rappela comme un boomerang que le bonheur n’était pas fait pour lui et que l’apaisement ne reviendrait certainement jamais, que sa relation avec Eden n’était qu’une période dont l’autre d’en haut lui faisait la faveur et qu’il n’était finalement rien. Il s’en fit une raison, continua de revendre la came qui lui donnait assez d’argent pour pouvoir vivre décemment, enchaîna les femmes tout en protégeant l’une d’entre elle et finit par être déçu, de nouveau.

Dans le Bronx, il se retrouva esseulé, n’ayant pour contact que les jeunes qui venaient lui acheter sa poudreuse et le reste, sans jamais se satisfaire de la vie qu’il menait à présent.

IV. Il rejoint sa cousine Maggy à Sarajevo, croyant pouvoir refaire sa vie et oublier celle qu’il avait eu au Bronx sans jamais y parvenir réellement. Le russe rencontra pourtant Elsie, belle renarde à l’âme aussi pure que gracieuse, qui remua sa poitrine plus que son corps et l’histoire, si elle fut avortée, ne devint plus qu’un souvenir idyllique.