L’appartement était vide. Silencieux. Trop silencieux. Ça détonnait trop fort avec le vacarme constant et monstrueux qui résonnait en lui. Dans sa tête. Ezekiel s’avança dans la pièce, abandonnant son sac et unique bagage au milieu de l’entrée. Ses pas le menèrent jusqu’à la baie vitrée. Vers le paysage nocturne qui s’offrait devant lui. La ville d’Albany.
C’est pas si différent que New York, tu verras.
Et pourtant, les minuscules différences qu’il avait pu noter jusqu’à présent étaient bien trop importantes pour qu’il ne tombe pas dans l’illusion.
Le boss a besoin de toi là-bas.
Il s’arracha au spectacle qui le laissait de marbre, rejoignant le canapé pour mieux s’y laisser choir. Une grimace douloureuse étira brièvement les traits de son faciès. Ses doigts glissèrent un instant sur son buste, dans l’espoir plus ou moins conscient d’apaiser les vives contestations de ses vieilles plaies en voie de cicatrisation. Quelle putain de merde. La souffrance était toujours là, latente, endormie au creux de sa chair. Il ne suffisait que d’un geste malencontreux pour que ses blessures se rappellent à lui, réveillant avec elles le goût amer des conséquences qu’elles avaient engendré. S’il ne s’était pas fait trouer la peau au milieu d’une foutue fusillade, en serait-il seulement là aujourd’hui ?
Ezekiel se souvenait encore parfaitement bien de l’étreinte cruelle des balles contre sa poitrine. Il se souvenait de la douleur, de ses mains imbibées de sang. Il se souvenait des cris, de l’explosion des coups de feu tout autour de lui. Il ne comprenait toujours pas ce qui avait fait que les choses avaient mal tourné ce soir-là. Tout ce qu’il savait, c’est qu’il avait repris connaissance dans l’un des bâtiments du clan. Gavé de médicaments. Opéré clandestinement. Les pions de la pègre, on ne fait pas la connerie de les envoyer à l’hôpital. Ce serait se jeter dans un sac à emmerdes. Y’a rien de mieux pour attirer l’attention des flics.
T’es resté trois jours dans le coma, mon vieux. J’me suis dit « merde, il va vraiment crever ce connard » ! Qu’est-ce qu’on aurait fait sans toi, hein ?
Un soupir souleva son torse. Il posa ses doigts contre ses paupières lourdes pour tenter vainement de chasser cet éreintement qui lui collait à l’échine depuis des jours. Qu’est-ce qu’il foutait là, nom de dieu.
On s’est occupé de ton gosse pendant tout c’temps. Eh calme-toi, faut que tu restes couché. Il va bien. On a dû calmer sa folle de mère quand elle a appris ce qui s’était passé. Comment t’as pu sauter une furieuse pareille, sérieux ?
Pourquoi la voix de cet enfoiré tournait en boucle dans son crâne putain ? Il aurait dû le tuer. Une balle entre les deux yeux. Il aurait enfin fermé sa gueule.
Ecoute, le boss pense que ta relation avec Léo a foutu la merde. On est sûr de rien. Mais c’est peut-être bien à cause de ça que c’est partie en vrille l’autre soir. Il veut plus que tu le revoies. Tu piges ?
Un rictus mauvais étira ses lèvres. Il laissa sa tête retomber contre le dossier du canapé. Il n’y avait rien pour soulager sa conscience. Rien pour faire taire les remords qui consumaient son âme.
Le boss a dit qu’il t’enverra ton gosse une fois que tu seras bien arrivé à Albany. Mais seulement si tu fais une croix sur ton mec. Sinon ...
Sinon il le tuera. Son fils. La menace était silencieuse, mais bien vivante. Ezekiel avait fait son choix. Sacrifier une partie de lui-même pour assurer la survie du reste. Abandonner Léo pour sauver son enfant.
Son regard se rouvrit sur le ciel noir et sans étoile. Mais, lui ? Était-il seulement en mesure de tenir, avec la moitié d’un cœur à l’agonie ?
auteur : ezekiel