La routine à repris en deux jours et il me semble que tout n'a été qu'un rêve, bon ou mauvais selon les moments de ce rêve. J'ai repris le boulot et mes visites chez Dominik à Rikers. Je n'ai plus vu Nina et je n'arrive pas vraiment à me dire que c'est une bonne chose. Elle me manque mais je revoit son regard méprisant à chaque fois que je pense à elle. Parfois ça me met en colère--qui est-elle pour me juger alors que je lui ai sauvé les miches ?- et d'autres fois je m'en veux d'avoir cédé à la facilité en allant voir Arabella.

Mon nouveau drone sous le bras, je vais aller le tester dehors, je descends les escaliers un peu perdu dans mes pensées moroses. A chaque fois que j'arrive au quatrième je regarde vers la porte de Nina c'est maladif. Je la vois galèrer avec sa porte, les bras chargés et sans réfléchir je jure et je m'élance pour attraper son carton qui glisse. "attention !" Je rattrape ses affaires en les coincant entre mon drone et mon bras. Je réalise que sur le carton il y a marqué salle de bain et ça me fait un coup au cœur. Tout pâle, je relève les yeux vers elle et je souffle "tu déménages ?" ça me semble impensable que ce soit à cause de moi. C'est ridicule et pourtant je ne peux pas m'empêcher d'y penser.

Son ton sec me frappe et je recule dès qu'elle a le carton en main. Ok...Je crispe les mâchoires, ravale la remarque cinglante qui me titille la langue. Nous avons juste baisé, faut que j'arrive à me sortir de la tête que ça aurait pu être autre chose ! Il faut que je me sorte de la tête ses soupirs et mes stupides ronronnements amoureux. Il faut que je me sorte de la tête nos nuits et nos étreintes, nos baisers, mes mots doux et cette sensation terrible d'amour désespéré, de manque et de vide dans les entrailles.

J'inspire et je descends. En bas, il y a une camionnette où elle entasse ses affaires. Je hausse un sourcil puis je m'éloigne de quelques mètres pour me concentrer sur ma tâche. Il faut que j'apprenne à piloter ce foutu drône. C'était plutôt le domaine de Dominik ça. Mais Dominik est derrière les barreaux et moi, je me retrouve tout seul dans ce trou à rats. Je ronchonne tous bas en serbe pour passer ma mauvaise humeur, en essayant surtout de ne pas regarder Nina. Elle ne veut pas de mon aide. Point barre. Tiens toi à distance Kovács. Cette fille est macquée avec les russes et t'as rien à foutre avec elle.Dès le départ c'était biaisé.

S'il elle voulait de l'aide, elle ne m'aurait pas envoyé bouler et je décide de l'oublier volontairement. Je fais tout pour l'ignorer, surtout ne pas penser que c'est sa camionnette et qu'elle déménage, que je ne la verrais plus par hasard. T'es un con Kovács, tu l'as pas vu pendant trois mois et elle t'es tombée dessus plusieurs fois de suite par hasard ? Cette fille t'a mené en bateau, c'était téléphoné. Les russes t'ont piégé pour choper la taupe. Ah ouai, et ils l'ont tabassé pour quoi, pour faire vrai ? Oh toi ta gueule... Maussade, je rumine en faisant voler le drone. Au début c'est simple, il s'agit de piloter en le voyant, mais je dois apprendre à le piloter tout à la caméra.

J'entends un geignement et cette fois je ne peux pas m'empêcher de me retourner. Je perds le contrôle du drone qui tombe comme une merde. Je le ramasse en regardant la scène de loin. Le type, grande gueule, et Nina blessée. je me retiens d'intervenir. J'ai une brusque et inattendue bouffée d'adrénaline et j'approche en sortant mon Beretta, sans faire dans la finesse. J'en ai marre de prendre des pincettes avec les gens, tout le monde me fait chier, je suis d'une humeur de chien depuis deux jours."Dégage." Le type me regarde comme deux ronds de flancs jusqu'à ce que je gueule. Fort. Très fort, avec toute la colère et la rage accumulée depuis quatre jours. Parce que je me suis bien fait baiser par les russes, parce que je joue ma vie avec les italiens, parce que Nina m'en veut et qu'elle s'en va. "DÉGAGE" Cette fois je suis assez convaincant sans doute parce que j'en tremble de rage et que je dois me maîtriser pour ne pas faire plus que gueuler avec mon flingue pointé sur lui. Il me faut plusieurs longues secondes pour me ressaisir tant je suis hors de moi. Je le butterais juste pour me calmer.

C'est le bruit du micro-ondes se fracassant par terre qui me sort de ma transe. Je suis une boule de nerfs sous pression et il me faudrait une baston pour vider ma rage. Je regarde le carnage au sol et je jure "Jebote." Je cale mon beretta dans mon dos, et je me penche pour ramasser le micro-ondes et je me heurte à Nina. Elle est pâle quand j'ai le visage marbré de rouge et le regard noir. Je souffre soudain de la voir trembler et le désarroi se mêle soudain à une timidité malvenue. Ma gorge se serre mais je n'ose pas la toucher. Je m'éclaircis seulement la voix pour qu'elle se fasse plus basse et douce. "laisse-moi faire, je vais le mettre dans la camionnette. Il est p'tre pas cassé... Y a juste un gnon sur le coin, là. Pleure pas, c'est pas grave. Tu as d'autres affaires à prendre. Je vais te filer un coup de main. Nina, pleure pas, c'est rien, c'est pas grave" Non c'est rien, il ne se passe rien de grave, hein Kovács, elle change d'immeuble pour te fuir, tu la fais flipper rien qu'en entrant dans son champ de vision, quand tu lui donnes pas envie de gerber, mais c'est rien, putain, parce qu'il faut que ce ne soit rien. "Reste là, surveille tes affaires, donne moi tes clefs, je vais chercher le reste. Qu'est-ce qu'il faut prendre sr... en haut ?!" Putain Slavo, fais un peu gaffe à ce que tu dis s'te plait. Concentre toi merde ! Reste pas affolé parce qu'elle est à un mètre de toi et que tu peux sentir son parfum.

Je prends les clefs, le cœur battant. J'esquisse un geste vers elle pour effleurer sa joue trempée de larmes et ça me broie de l'intérieur. Je soupire, entre résignation et amour refoulé "va dans la voiture, je vais finir de descendre tes affaires." Je frotte sa joue furtivement dans un geste d'encouragement, alors même que je n'ai pas du tout envie qu'elle s'en aille ailleurs. Les russes ont du penser que crécher au milieu des italiens étaient finalement une mauvaise idée.

Je vais chercher ses autres cartons que je mets dans la camionnette en les plaçant au mieux. Je lui demande qu'est-ce que je dois prendre d'autres dans les meubles et en fonction de sa réponse, je fais au mieux. Au moins c'est une activité physique qui me permet d'évacuer un peu de la sourde angoisse que j'ai. Je ne vais pas la revoir. Déjà parce qu'elle m'en veut à mort, ensuite parce que je n'aurais même plus la chance de la croiser par hasard. A un moment je croise Marco qui boude en fumant une clope dans le hall et il me jette un regard noir mais je ne m'en soucie pas. Ces mômes des cités sont des crétins.

Une fois la camionnette chargée, je grimpe côté conducteur. "Ok, je crois qu'on est bon. tu veux vérifier si j'ai rien oublié chez toi pendant que je rentre l'adresse dans le gps ? "

Je tire la gueule en voyant où elle va habiter. Ce quartier est encore plus pourri que The hole et l'appartement est pire que tout. Je fais remarquer en regardant autour de moi "on se croirait à Beyrouth ? Pourquoi tu déménages dans ce trou ?" je ne peux pas imaginer que c'est juste à cause de moi. On aurait très bien pu juste ne plus se croiser comme avant. Elle sait très bien m'ignorer.

Je pose le carton par terre et je vais en chercher un autre. L'ascenseur est en panne mais elle habite au second, qu'elle chance. Autant dire que je fais ma muscu du jour ! Je suis en nage après 3 voyages. "dis pour tes meubles ? Je les monte quand même tous ? C'est pas très grand. Au pire je peux les stocker dans ma cave et tu les récupéres quand tu veux." c'est pas parce que c'est le bordel dans ma vie que je ne peux pas la dépanner. C'est le micro ondes que j'ai monté en dernier mais vu que y a même pas l'électricité, on peut pas tester s'il a morflé ou pas.

Ah tout s'explique. Les russes. Je me demande comment elle est liée à eux. Ce n'est pas une mercenaire ça se voit tout de suite. Elle n'est pas vraiment intégrée mais elle est sous leur coupe. "Ok.tu fais toujours ce qu'ils te disent de faire ?" la phrase a fusé, légèrement narquoise pour contrer mon envie de la prendre dans mes bras.

Je secoue la tête à sa proposition faite du bout des lèvres dans un attitude de rejet que je perçois très bien. Et comme on ne va plus se revoir sans doute, je vide mon sac d'un ton qui n'a rien d'agressif mais qui est sans doute un peu dégouté ." Non surtout. Je vais pas te déranger plus. Je vais rentrer à pied. T'as l'air de bien t'en sortir toute seule. T'as l'air de penser que tout ça c'est ma faute mais j'y suis pour rien dans la parano de tes employeurs alors me colle pas ça sur le dos. Sincèrement j'aurais préféré pas me prendre un coup de casque dans la gueule. Je me suis déjà assez foutu dans la merde auprès des italiens pour sauver ta peau mais j'imagine que ça serait trop dur de le reconnaître. Alors ciao. Et bonne installation. C'est pas parce que tu m'as retourné la tête que j'arriverais pas à t'oublier. " enfin j'espère et sinon est-ce que je peux vivre avec ce trou au bide ? Je me poserais la question plus tard. Avec un peu de chance dans une semaine j'ai oublié son prénom.

La moutarde me monte au nez. Je ne comprends pas pourquoi elle m'en veut autant ! "Mais j'en ai rien à foutre de tes excuses ! J'en veux à tes potes russes pas à toi ! T'inquiète que je leur rendrais la monnaie des que je pourrais." je n'oublie rien et j'attendrais le bon moment de ma vengeance. Sa remarque m'empourpre "alors c'est ça ? C'est à cause d'Arabella ? Et tu crois que je pouvais trouver comment le nom de la taupe en moins de trois jours? Et je baisais déjà avec elle avant que tu te pointes dans ma vie. Tu crois que ça me complique pas la vie d'être connement tombe amoureux de toi ? Tu crois que je préférais pas que ce soit autrement ? Mais bah je suis vraiment un idiot. "

"Moi je t'en fous plein la gueule ? Tu te fiches de moi, c'est toi qui n'arrêtes pas de m'envoyer péter même quand je veux t'aider. qu'est-ce que j't'ai fait en fait ? C'est à tes petits copains ruskovs que tu devrais demander des comptes."

Mon visage change, à la colère se mélange le désarroi et la honte. Ouai je l'aime et ouai j'ai voulu empêcher ce type de la toucher, mais surtout je voulais être à sa place. Et au final si Nina n'est même pas un peu jalouse, c'est que je me suis planté sur toute la ligne, que je prends mes désirs pour la réalité. Je pâlis à cette révélation et ma colère tombe comme un soufflet. "Tu m'as viré de chez toi, tu veux que je fasse quoi ? Que je m'accroche comme un pauvre type ? J'ai compris que c'était pas réciproque, merci. C'est pas la peine d'enfoncer le clou. " Personne n'est jamais mort de se faire briser le cœur, si ? Pas un Kovács en tout cas, bordel ! Cette douleur, ça passera. C'est comme une sale blessure, ça passera. Quant à Arabella, je lui ai donné des armes contre moi, mais je n'ai plus envie d'en parler avec Nina et j'assumerais ma connerie le moment venu. Je n'ai pas à me justifier, je n'ai pas envie de le faire. Pour l'instant Vincenzo occupe l'italienne suffisamment et après, bah je verrais bien.

Vraiment très calme à présent, lucide, je dis avec sincérité. "Allez ciao Nina, j'espère que tu t'en sortiras mieux dans ce quartier." Là dessus j'ai mes doutes, mais après tout au moins y aura pas d'italiens ou fondus dans la masse.

J'ai un espoir irrationnel malgré son attitude fermée parce que je me dis qu'elle va comprendre forcément. Et en effet elle m'a rien demandé mais je ne supporte pas de la voir galérer ou qu'elle soit en danger même si elle ne veut pas de mon aide. J'avale mon verre de flotte, mérité après les aller retours dans l'escalier. Elle a un goût de chlore infâme.

Je me lève sous le flot de sarcasme. Elle m'a blessé dans mon orgueil cette fois. Je suis un mercenaire, un serbe, pas un putain d'italien. Je tique, le regard noir "Je fais payer et je règle mes dettes moi-même. T'inquiète pas, on est quitte. J'en ai rien à foutre de ta reconnaissance. Tu peux apaiser tes problèmes de conscience et trouver d'autres bras où pioncer" Des problèmes sur la conscience ? Mon ton est foutrement sarcastique. Je n'en vois aucun chez elle, elle a explications à tout, arguments à tout et sous son regard, j'ai la sensation d'avoir tout fait de travers. Pourtant, je crois pas, j'ai agi comme je devais pour la tirer de là. En plus c'est super vexant que je la fasse dormir ! On a plus baisé que dormi, jebote !

Je pose le verre vide très soigneusement avant de prendre la porte pour rentrer chez moi à pied. Ça fait trop de fois qu'elle me demande de sortir de chez elle pour que je ne capitule pas.