« Mais ooooOOOOh qu'il est con c't'animal c'est une poubelle regarde ! »

Après avoir tiré sur les « rênes » – je monte en licol –, j'avance les mains pour éviter de tirer sur la gueule de la jument qui est en train de prendre peur parce qu'une poubelle est tombée durant la nuit. Les chevaux n'ont peur que de deux choses : celles qui bougent... et celles qui ne bougent pas.
En l'occurrence vu mon taux d'alcoolémie actuel on va rendre grâce au fait que je monte à cheval depuis longtemps … et que cette jument n'est pas très vive sur les appuis donc j'ai pu encaisser l'écart.
Elle souffle, encense de la tête, et veut bien reprendre son chemin.
Une petite vieille qui accompagne son yorkshire me suit d'un regard parfaitement halluciné, et je lui envoie mon meilleur sourire.

« B'jour mâ'am, belle journée n'est-ce pas ? »

Le soleil est pas levé et il fait un froid glacial, mais bon, c'est le genre de trucs qu'on dit dans ces circonstances, quand on est un type bien élevé. Je suis un mec super bien élevé, il faut le savoir.

« Arrête de bouger Bijou... »

Ah oui, la jument, j'la connais hein, je l'ai pas volée de façon random. C'est Bijou une jument spécialisée dans les courses de galop, un monstre de nervosité – c'est normal c'est une pur-sang anglaise – mais d'une gentillesse à mourir pour son cavalier, et avec une petite tête fine et racée pile comme j'aime.
J'ouvre le portail qui grince affreusement en faisant reculer la jument, les deux jambes serrées sur son ventre.

« Allez... encore un peu... Good girl ! »

On passe le portail et je réitère l'opération pour le fermer, entendant la petite vieille qui souffle  « alors ça si j'avais su ! ». Je fais avancer Bijou à travers les buissons que j'ai vaguement tenté de tailler en forme d'animaux l'automne derrière, puis descends en passant la jambe par-dessus son encolure.

« Oh.. Ohla ! »

Evidemment je m'étale par terre dans l'herbe cramée par le froid du jardin, et rit alors que la jument tend les oreilles vers moi, curieuse de comprendre pourquoi diable j'me relève pas. Parce que je peux pas, tiens.

« EDEEEEEEEEEEN VIENS M'SAUVER ! »

Un aboiement se déclenche dans le lointain.

« Trop bu », je réponds avec un aplomb sans faille parce que j'estime qu'en tant que fier représentant de la patrie écossaise, c'est absolument normal, oui même un soir de semaine. « Et Bijou m'a filé le mal de mer. »

Quand un cheval vous file le mal de mer, foi de cavalier, c'est pas bon signe. Bijou se laisse approcher par Eden, tendant les oreilles dans sa direction avec un regard méfiant, et moi je parviens à rouler sur le dos.
Pfu, on voit pas les étoiles.

« Tu veux pas m'aider, dis ? Il faudrait que j'aille me coucher parce que je... »

Je soupire.

« Je bosse demain. »

ça promet, ça va encore être une belle journée pour sauver l'Amérique, tiens. Je me redresse sur les coudes, me fais la réflexion qu'il faudra que je vire le licol de Bijou et que je me démerde pour la rendre à son propriétaire avant d'aller au taf ; les heures de sommeil se réduisent à une vague sieste mais chuis un homme fort, j'vais pas pleurer pour ça. Je pose le regard sur Eden, lui matte le fessier avec habitude.

« J't'ai réveillée ? »

« Ouais bon oh ça va » je réponds dans un manque flagrant d'argumentation, mais faut dire que même si je suis écossais, je suis pas au top de mes capacités quand je suis bourré, c'est comme ça. « Y avait Larry et ça dérape toujours quand y a Larry. »

En fait des fois, le lendemain j'me rends compte que j'accuse les autres mais que c'est moi qui fais partir les soirées en couille.
M'en fous !
Je trébuche et manque de m'étaler de nouveau, mais rattrape vite la station bipède pour laquelle mes lointains ancêtres ont évolué.

« Merci Eden. J'sais pas ce que je ferais sans toi. »

Je dormirais probablement dans le jardin et un jour j'en mourrais d'hypothermie, voilà. Je regarde Bijou, m'en approche avec un claquement de doigts qui attire son attention. Elle parcourt la fin du chemin pour me rejoindre, et je lève la main pour déboucler son licol.

« Si, on va fermer le jardin et j'la ramènerai demain avant d'être accusé de l'avoir volé. On a pas genre... du foin ? »

La question peut paraître stupide : pour ceux qui ne connaissent pas cette maison. On trouve de tout ici. La dernière fois j'ai trouvé un renard empaillé – j'ai eu la trouille de ma vie, j'ai poussé un hurlement de film d'horreur.

« C'est clair », je ricane de façon floue, à m'imaginer dormir avec Bijou dans le jardin.

C'pas drôle de dormir avec un cheval, ils dorment debout ces cons-là, trop pas pratique. Je hoche de la tête quand Eden m'ordonne de pas bouger, restant appuyé sur la jument qui attend sagement. C'est fou la patience de ces bêtes-là, et ils se rendent même pas compte qu'ils sont patients, hein, ils se contentent d'attendre même s'ils captent rien !
Eden part et je la regarde sautiller avec grâce à travers le jardin...

Et elle hurle comme si un tueur en série avait décidé de piquer un somme dans notre remise.

« QUOI ATTEND J'ARRIVE ! »

Un chien du voisinage aboie, Bijou renâcle, et y a une lumière qui s'allume dans la baraque, oups on a probablement réveillé un des colocs.

« OLLIE TA GUEULEEEEEEEE ! »
« Ouais ouais pardon oh », je fais tout en ralliant la remise, regrettant de pas avoir mon arme de service avec moi.

Chuis pas fou j'pars pas faire la tournée des bars avec mon flingue.
Enfin.
Pas la plupart du temps !

« Eden ? Qu'est-ce qu'il y a ? Oh bordel ! »

J'ai failli me prendre les pieds dans un tapis de bagnole dont j'me demande bien ce qu'il fiche ici, personne a de bagnole je crois.

« J'dois tuer qui ? »

Ah mais je ferais n'importe quoi pour Eden, faut le savoir hein !

« Oooh y en a deux ! »

Non : j'ai trop bu et je vois double, plus exactement. J'essaie de débrouiller mes pensées, et le seul truc que je trouve à faire, c'est sortir mon téléphone pour prendre en photo le ver géant, en disant sur un ton ex-ta-ti-que :

« Quand j'vais montrer ça à Moira, la tête qu'elle va faire ! »

Elle va ptêt pas aimer, mais franchement j'suis pas en état de m'en rendre compte. Eden s'est cachée derrière moi avec la grâce d'une biche effarouchée, et j'ai un rire une fois que j'ai réussi à prendre une photo de la Bête.

« On va pas l'tuer Eden, surtout si c'est un recordman de taille. Je suis pas ento... entro... entomo... BREF spécialiste des insectes mais je pense que c'est un ver. »

Je me rapproche de l'Infâme. (Oui j'ai plein de surnoms comme ça en stock.)

« Hmm, pas de patte, je suis formel c't'un ver. Ou un serpent », je réfléchis, « nan y tire pas la langue, définitivement un ver. M'en occupe demain, ok ? Promis y te mangera pas, si t'as peur tu peux dormir avec moi. »

Ouais, je sais, je suis trop sympa. Je manque de me ramasser la gueule en récupérant le foin pour Bijou, mais j'y parviens à force de concentration.