Les lumières des lampadaires se reflètent, une à une, sur le casque noir qui fend l'air frais de cette soirée de janvier. Le vrombissement de la moto résonne sur les façades des immeubles et des commerces, oubliant de se faire discret et interrompant celles et ceux qui cherchent à converser dans la tranquillité, jusqu'à temps que la bécane ne disparaisse au prochain virage, laissant les passants maugréer sur la pollution sonore d'un tel engin.

Derrière lui, Alexei laisse un Seven Sins aux bonnes mains de Maggy, s’accordant quelques heures de répit avant de reprendre les affaires. Alors qu’il joue avec la pédale d’embrayage, faisant pétarader son engin plus que de raison, son esprit divague, à la recherche d’un bon plan détente pour la soirée. À moins qu’il ne se rende au Naughty pour continuer à en apprendre plus sur la pègre locale.Le voilà qui tourne dans une rue plus étroite, bien que fréquentée, et qu'il y remarque un petit attroupement qu'il rejoint en quelques secondes, garant son engin sur le bord du trottoir avant de se laisser guider par une curiosité certaine. Un mur humain lui bloque la vue mais, retirant son casque, il entend mieux cette musique entraînante qui lui parvient de l'autre côté. Le slave lève les yeux au ciel, imaginant déjà un énième musicien de rue sûrement déjà client de la Bratva, qui ne compte que sur la bonne volonté des passants pour se payer son prochain fix.

Il s'apprête à tourner les talons lorsqu'une percée se fait dans la petite foule, découvrant alors l'attraction de la soirée. Ses sourcils se haussent, témoins d'une légère surprise alors qu'il s'attendait à découvrir un de ces mecs à dread-locks aux chemises trop grandes et à la barbe dégueulasse. Au lieu de ça, une femme, jeune, dont les courbes épousent la musique dans une danse si hypnotisante qu'il en oublie qu'il était sur le point de partir. À mesure que le spectacle se déroule sous ses yeux, un sourire se dessine sur ses lèvres. Ça y est, il sait quoi faire de sa soirée.La hippie est canon, mais elle n'en demeure pas moins une hippie qui se produit en pleine rue, faisant d'elle une cliente potentielle. Le genre de cliente qu'il est prêt à alpaguer lui-même vu ce qu'il en voit, et qu'il ne serait pas contre la voir lui offrir une démonstration privée, après qu'il lui ait fait goûter quelques échantillons.

La musique s'arrête, le show aussi. L'artiste remercie son audience qui se disperse petit à petit pour la laisser remballer son matériel, sous le regard d'Alexei qui finit par distinguer une autre silhouette elle aussi restée sur le trottoir. Ses sourcils se froncent, ses yeux se fixent sur l'inconnu qu'il voit s'approcher d'elle et qu'elle ne semble pas connaître. Resté en retrait, le slave observe et analyse, cherchant la première ouverture pour dégager ce parasite et atteindre son objectif.

Les secondes s'égrainent et la rue se vide peu à peu, les bonnes gens pressant le pas pour ne pas rater leur dose quotidienne du dernier talk-show à la mode. Celles et ceux que les écrans n'hypnotisent pas se retrouvent seuls, face à eux-mêmes ou à ceux dont les distractions sont toutes autres, à l'image de cette jeune femme d'apparence si fragile dont un homme imbibé cherche à profiter, tandis qu'un autre observe, hésitant à intervenir.

À quelques mètres de la victime et de son agresseur, Alexei analyse la situation, se demandant si oui, ou non, cela vaut la peine qu'il perde du temps à régler son compte au poivrot seulement pour tenter de gagner une cliente.

Pendant ce temps, l'aviné a plaqué la malheureuse contre un mur qui ne lui laisse aucune échappatoire, lui réclamant cette même démonstration privée qui a effleuré, plus tôt, l'esprit du slave. À la seule différence que Basharov l'aurait préférée consentante.
Elle refuse, la beauté, se montrant différente de ces autres danseuses qu'il a pris l'habitude de voir au Naughty depuis qu'il est arrivé. Rien d'étonnant, elle n'a rien en commun avec elles. Sa tenue dévoile sans trop en montrer, ses mouvements sont sensuels sans être provocants, et elle semble bien moins à l'aise qu'elles devant un homme aussi déterminé.

Le regard de ce dernier s'emplit de lubricité, autant qu'il le peut derrière ce brouillard qu'y a répandu l'alcool. L'une de ses mains quitte le mur contre lequel il la retient pour se frayer un chemin sous le tissu de sa robe et se plaquer sur sa croupe. Alexei soupire devant le pathétique de cet individu, peut être plus encore devant son envie irrépressible d'intervenir.

- Allez beauté, ça s'voit qu't'en veux à te trémousser comme ça...

L'odeur âcre de l'alcool se dirige droit vers le visage de la jeune femme qu'il tient à courte distance et qu'il presse plus encore contre le mur de briques. Bien trop absorbé par cette proie qu'il ne sait pas convoiter autant que celui qui se trouve à présent juste derrière lui, il ne voit pas l'ombre du bras de Bacharov se lever avec, à son bout, le casque de moto qui vient s'abattre violemment sur son crâne.
La masse imbibée s'effondre et, dans un gémissement de douleur, encaisse le coup de pied qu'Alexei porte à son thorax avant de lever les yeux vers la jeune danseuse à qui il adresse un sourire amusé.

- Ca fait quoi d'avoir un admirateur aussi investi ?

La main encore fermement agrippée au casque qui a laissé une vilaine marque sur le coin du crâne de l'homme à présent inconscient au sol, Alexei profite de cette nouvelle proximité avec la jeune femme pour mieux en observer les traits. Le voilà qui maudit cette foutue obscurité et cet éclairage public qui ne lui laissent qu'en deviner la douceur et lui promettent tellement plus à la lumière du jour.
La rescapée semble reprendre ses esprits et rajuste sa robe ayant laissé voir quelques temps le galbe d'une jambe si interminable qu'il ne peut que, lui aussi, se demander à quel point elle peut être douce. Mais il ne lui sautera pas dessus comme l'a fait ce déchet gisant à leurs pieds. Du moins, pas maintenant. Pas sans qu'elle en ait envie. Ça n'a rien que ce soit à voir avec une quelconque marque de respect ou de fierté, mais plutôt que Basharov a toujours eu un faible pour les jeux de séduction et ce sentiment de victoire lorsque les deux adversaires tirent ensemble satisfaction de leur réussite mutuelle. Et puis, s'il tient à en faire une cliente fidèle, il a tout intérêt à l'amadouer d'abord.

- Quoi, ça ? Il soulève le casque qu'elle mentionne avant de désigner le corps inerte du menton. Le plus déstabilisé c'est lui j'dirais...

Il jauge l'épave avinée avec un regard empli de dédain, se disant qu'il lui aurait certainement réservé le même sort de manière totalement gratuite dans d'autres circonstances. Puis, ses yeux se reportent sur la demoiselle en détresse qui lui murmure un merci, élargissant le sourire du slave qui lui a déjà trouvé un petit nom.

- C'est toujours un plaisir de jouer les Chevaliers servants, Printsessa.

Une lueur complice lui traverse le regard alors qu'il s'amuse de cette situation tellement loin de sa véritable nature et de ses réelles intentions. Mais, sur le moment, l'image de la princesse sauvée de l'affreux dragon par un chevalier à l'armure rutilante lui paraît, à quelques choses près, assez fidèle au tableau se déroulant dans cette rue devenue déserte.
Les billes bleues d'Alexei quittent la jeune femme pour se poser sur son matériel resté quelques mètres plus loin, et le petit récipient n'ayant reçu que de maigres dollars suite à sa performance. Bande d'abrutis, incapables de réaliser la valeur d'une danse pareille, n'importe quel patron de strip club à voir ça serait complètement con de passer à côté d'une danseuse pareille.

- Plutôt radins par ici, non ? Si son accent n'a pas suffi à le trahir, cette simple remarque laisse clairement entendre qu'il n'est pas du coin. Il s'approche de la maigre recette qu'il ramasse et détaille avant de la tendre à sa propriétaire. Récupère ton matos, on va manger un bout. Ses mots n'ont rien d'une proposition, au contraire, ils sont plutôt directifs sans pour autant contenir la moindre agressivité. Prends-ça comme ma contribution personnelle. Justifie-t-il en baissant une seconde les yeux vers les quelques billets et pièces qu'elle a pu se faire. Un morceau à grailler, c'est déjà plus que ce qu'on a pu lui donner ce soir. Et c'est bien loin de la valeur de la soirée qu'il compte lui faire passer ensuite.

Traumatisé ? Si peu... Il s'agirait plutôt d'une banalité sans nom pour le slave qui casse des gueules comme gagne pain. Et cette gueule-là n'a émis aucune résistance, ce qui est pour satisfaire Basharov qui aurait très mal pris que le détritus humain qui gît plus bas entrave ses ambitions pour la soirée.

- Peut-être parce-que c'est mon truc, de sauver les demoiselles en détresse...

Bien évidemment, ça ne l'est pas. Son truc, c'est plutôt de casser du troll. À vrai dire, c'est bien la première fois qu'il vient au secours d'une parfaite inconnue, avec ou sans arrière pensée, et ce n'est actuellement pas pour lui déplaire vue la beauté qui se tient devant lui. Si elle le suit ce soir, il sait déjà qu'il lui offrira tout ce qu'il faut pour la revoir à nouveau.
Elle récupère les quelques billets et lui sourit à l'ironie qui teinte ses mots censés être accueillants. En effet, la Grosse Pomme est bien loin du rêve américain que l'on vend depuis des décennies, si ce n'est des siècles, ses rues se trouvant tout autant peuplée de gens aigris et amers qu'ailleurs, auxquels on peut ajouter tout ce qui vous donnera un aller simple en Enfer, sans passer par la case Purgatoire. Ce qui risque grandement d'être le cas pour celui qui s'y trouverait chez lui.

Il soutient ce regard méfiant qu'elle porte sur lui, à juste titre. Voilà l'instant décisif, celui qui décidera de la suite de sa nuit, à savoir s'il la passe seul, ou accompagné. Et lorsqu'elle accepte à demi mot, le sourire du moscovite s'élargit d'une franche satisfaction qu'il ne cherche même pas à cacher. Après tout, qui ne serait pas enthousiaste à l'idée de se faire accompagner par cette femme là ?
Pour lui répondre, il se tourne légèrement et se décale, laissant apparaître derrière lui sa moto garée le long du trottoir, une "dual sport" bleu nuit, relativement massive mais extrêmement bien maniable.

- Est-ce que ça conviendra, Printsessa ? Question rhétorique, Alexei avance déjà vers le véhicule dont il ouvre le top case pour en sortir un autre casque, plus petit, qu'il conserve principalement pour servir de chauffeur à Maggy. Et la couronne qui va avec.

Il ne répond pas, mais son air narquois laisse planer le doute sur sa propension à se jeter au secours de la veuve et de l'orphelin. Disons que s'il y trouve son compte, il pourrait aller jusqu'à sortir le caniche de mamie d'une maison en flammes. À condition que mamie, ses enfants et petits enfants lui soient redevables pour le restant de leurs existences.

Elle s'approche, ne semble pas avoir peur de lui malgré la violence avec laquelle il l'a débarrassée de l'indésirable. Sans être habitué à faire fuir les inconnues, Alexei sait pourtant l'image, assez fidèle, qu'il véhicule et, si nombre de femmes de son milieu ou de celui de la nuit peuvent apprécier cet aspect et ce tempérament qu'il dégage, celles d'au dehors, les filles de bonne famille, celles qui ne mettent pas les coudes sur la table, elles savent pertinemment qu'il ne vaut mieux pas l'approcher. Et soit celle-ci cache bien son jeu, soit elle possède un instinct de survie proche du zéro.

- On va s'assurer que tes talents soient gratifiés à leur juste valeur. Lui répond-il, son sourire dissimulé sous le casque qu'il vient d'enfiler. Il ne lui ment pas en prononçant ces mots, comptant bien lui démontrer à quel point son déhanché lui a plu, en commençant par ne lui refuser aucune consommation, si ce n'est l'y pousser, pour la soirée.

Le moteur vrombit et la moto file entre les blocs, tandis que son rictus reste toujours cramponné aux lèvres de Basharov qui apprécie particulièrement ce début de soirée, une belle femme cramponnée à lui à chaque virage, et qui ne demande qu'à découvrir jusqu'où elle les mènera.
En quelques minutes, ils arrivent dans une artère principale où les lumières leur crachent au visage les noms des enseignes environnantes. Descendu de la bécane, il invite l'inconnue à le suivre jusqu'à l'entrée d'un établissement à la façade bardée de néons fluos et dont la porte d'entrée vibre au son des basses à l'intérieur. Le Neon Night, un club branché ayant la bonne idée de servir de quoi se sustenter avant de danser jusqu'au petit matin, leur ouvre les portes après qu'Alexei en ait salué l'un des videurs. Sans appartenir directement à la Bratva, le club y est un terrain de jeu privilégié dont le propriétaire est en étroite collaboration avec la branche américaine de l'organisation, donnant à cette dernière tout le loisir d'y trouver et y fidéliser sa clientèle.

À l'intérieur, l'obscurité tranche avec les couleurs vives qu'une lumière noire met en valeur, brisée çà et là par quelques néons leur permettant de se diriger aisément jusqu'à une table en retrait de la piste de danse qu'anime une musique entraînante et électrique. Enfin, en tout prince qu'il s'est mis en tête d'incarner pour la soirée, Alexei invite la jeune femme à s'asseoir sur la banquette avant de l'y rejoindre, posant son casque à ses pieds. Ses iris gris se plantent sur son invitée à qui il adresse un regard complice avant de se pencher vers elle de manière à se faire entendre.

- Commande ce que tu veux, Princesse, c'est pour moi.

Alors qu’il s retrouve légèrement penché vers elle, ses lèvres à quelques centimètres de son oreille, Alexei sent la caresse de sa chevelure brune au parfum aussi sensuel qu’hypnotisant, le faisant s’attarder là plus que de raison malgré qu’elle lui ait déjà répondu, s’inquiétant davantage de la carte des alcools que de celle des plats. Elle lui arrache un sourire, un rire même, lorsqu’il se recule en lui adressant un clin d’œil.

- Ils ont tout ce que tu veux, et bien plus.

Il semblerait que la douce danseuse rencontrée au dehors soit moins innocente qu’elle ne paraît l’être, cachant bien son jeu derrière ses grands yeux dans lesquels il se perd quelques instants avant de chercher une serveuse qui les rejoint rapidement. Un rhum pour son invitée, un whisky pour lui, l’employée prend note et se détourne d’eux à l’instant où l’inconnue exprime son désir d’exprimer à nouveau son talent, mais cette fois-ci accompagnée du slave dont le sentiment de satisfaction se mêle à celui d’une excitation grandissante à mesure qu’il voit cette soirée s’annoncer plus agréable qu’il ne l’aurait jamais imaginée.

- Un bon paquet. Affirme-t-il dans un rictus provocateur, sentant à nouveau ce parfum qui ne lui monte que trop à la tête. Il ne ment pas, pourtant, ce slave qui fait honneur à sa réputation en encaissant l’alcool mieux que personne, ce qui justifie en partie son besoin de tirer un trait pour mieux profiter des soirées. Mais une nouvelle démonstration de tes talents pourrait me convaincre plus rapidement...

Leur proximité se fait plus fine que la précédente, et aucun des deux protagonistes ne semble s’en plaindre, au contraire. Dans une geste d’apparence anodine, Aliocha profite de ce nouvel échange pour poser, « nonchalamment », une main sur la délicate épaule de la danseuse, autant pour la mettre en confiance autant que faire se peut, que pour le plaisir d’initier un contact avec celle qui s’avère bien plus intéressante et moins fade qu’il ne s’y serait attendu. Et lorsqu’ils reculent pour se voir à nouveau, c’est avec délectation qu’il découvre un sourire qui en dit long sur les lippes de la jeune femme, auquel il répond exactement de la même manière.

Lorsqu’elle détourne son attention pour la porter sur la foule, lui garde son regard fixé sur elle, sa véritable attraction de la soirée. Ces corps qui bougent à côté, cette marée humaine dansant au gré des sonorités électroniques, il la connaît déjà par cœur, la fréquente tous les soirs qu’il ne passe pas au Casino ou au Naughty. Il l’apprécie, cette effervescence ambiante, y prend souvent part le reste du temps, mais ce soir, il n’en a que pour celle qui revient glisser ses lèvres contre son oreille, lui hérissant le derme au contact chaud de son souffle dans son cou qu’il vient imiter en venant couler ces quelques mots :

- Tu ne crains rien des lions tant que je suis là, lui assure-t-il, et il est dans le vrai. Les réguliers du Neon Night savent le statut d’intouchable dont profite allègrement le slave, et les autres qui seraient susceptibles d’approcher sa danseuse risqueraient fort d’y perdre leurs dents, si ce n’est plus. Mais j’ai bien l’intention de profiter du spectacle avant de t’y retrouver.

Sa main s’attarde sur le bras délicat, sûrement plus qu’elle ne le devrait. Bien qu’immobile, elle savoure la douce chaleur qui en émane et laisse, doucement, entendre que le slave n’est pas indifférent à celle qui le laisse là, à sa propre demande. Il la suit des yeux, ces derniers ne la quittant pas une seule seconde lorsqu’elle fend la foule.
Devant lui, on dépose les alcools commandés quelques minutes plus tôt, auxquels la maison a joint deux scooters en guise de sympathie. Alexei les considère, un instant, tout comme les mots de celle sur qui il reporte rapidement son attention. La voilà dans son élément, bougeant mieux que quiconque au rythme des basses assourdissantes, et il en oublie la tentation de se réchauffer la gorge, délaissant les verres devant lui pour faire courir son regard sur les courbes ondulant devant lui, croisant parfois celui qu’il aime voir le chercher.
Elle est entourée de dizaines d’autres corps en mouvement, pourtant, il ne voit que le sien, ne ressent que sa présence vers laquelle il se sent irrémédiablement attiré sans qu’il ne parvienne à se l’expliquer. C’est loin d’être un sentimental, Aliocha. Alors il met ça sur son attrait pour la nouveauté et son désir d’en faire une cliente comblée, droguée et accro à la came qu’il lui refourguera.
Pourtant, c’est un tout autre désir qui lui prend aux tripes, celui qui n’était que sous-jacent à l’instant où il l’a abordée et qui le réchauffe davantage à la moindre interaction, au moindre contact avec celle qui reste encore une totale inconnue. C’est ce même désir qui lui fait perdre patience, se lever et se jeter à son tour dans la gueule du lion, plongeant dans cette marée humaine en ne gardant qu’elle en ligne de mire, son regard noir dissuadant les quelques opportunistes qui attendaient l’instant propice.

Alexei la retrouve enfin, sa princesse dont les ondulations l’hypnotisent tout autant que dans cette sombre ruelle où il l’a trouvée quelques temps plus tôt. Il lui sourit et s’approche d’elle, aussi près que peuvent l’être deux corps dans un endroit pareil, signifiant aux dubitatifs alentours qu’ils feraient mieux de chercher un autre poisson à ferrer. Sa main caleuse se pose sur sa hanche en mouvement et ses lèvres glissent avec malice au creux de son oreille.

- Je crois que je n’ai jamais eu autant envie de rejoindre une piste de danse. Lui confie-t-il, en toute sincérité. Parce que Basharov, il ne danse pas. Il regarde, savoure, observe de loin, mais c’est bien la première fois qu’il a cette envie irrépressible de suivre les mouvements d’une femme, de la laisser lui montrer son monde, de prendre les commandes et d’apprécier ça, lui qui cherche tant à avoir le contrôle sur tout ce qu’il touche. Tu me montres ce dont tu es capable, Printsessa ?

Les doigts du slave s'électrisent au contact chaud de cette hanche qu'il veut ne sentir bouger que pour lui, et c'est tout son corps qui vibre lorsqu'elle s'approche encore, comblant le semblant de vide qui existait encore entre eux. Autour, les vautours ont changé de proie ou les observent, regrettant amèrement de ne pas se trouver à la place d'Alexei dont le souffle chaud n'a pas quitté la nuque de sa danseuse.

La voilà qui prend les devants et, bordel, ce qu'il aime ça. Cette main qu'elle guide entre ses reins la plaque fermement contre lui et ses hanches savourent la caresse entêtante de celles qui les entraînent dans une danse bien trop sensuelle pour qu'ils se contentent tous deux d'apprécier la musique.
Le regard de Basharov luit d'un nouveau désir alors qu'il se pose, avec admiration, sur leurs hanches bougeant à l'unisson, et ses intentions envers celle qui le met au défi de lui montrer l'étendue de ses talents ont définitivement changé de cap. Faire d'elle une camée arpentant les rues en quête de son prochain fix lui paraît maintenant d'un triste gâchis. Ce serait lui faire perdre cette énergie et cette effervescence qui lui font, à lui, perdre la tête qu'il relève vers elle dans un sourire provocateur.

- Je crains que tu ne doives encore attendre pour ça, ma belle... Ses paroles sont sans équivoque, ses talents à lui ne résident pas sur la piste de danse, mais dans des endroits plus intimistes. Mais, crois-moi, c'est pas l'envie qui me manque de te les montrer ici et maintenant. lui glisse-t-il à l'oreille avant d'en goûter brièvement le lobe, tandis qu'une main contribue elle aussi à illustrer ses propos en glissant sur sa croupe.

Cette torture qu’il lui impose, cette attente qu’il lui inflige, il les subit tout autant qu’elle, avec une délectation évidente et un plaisir visiblement partagé. Leur danse est un véritable calvaire, leur proximité lui fait perdre la raison. Il pourrait voir en elle une fille facile, autant que les danseuses du Naughty, à la seule différence qu’il ne la paie pas. Mais, étrangement, c’est tout autre chose qu’il voit en elle. Elle n’est, en effet, pas farouche, mais bien sauvage. Elle transpire la liberté et il lui semble que le choix qu’elle fait en le laissant, ainsi, pénétrer dans sa bulle, a quelque chose à voir avec l’alchimie qui les anime depuis le premier contact.

Il n’a pas le temps de lui répondre qu’elle se retourne contre lui, appuyant son dos et sa croupe contre son corps qui frémit d’un désir non plus naissant mais grandissant, bouillonnant derrière le calme et la retenue qu’il peine à garder alors que sa main la colle toujours plus contre lui. Une. Putain. De. Torture.
Lui qui s’amusait de la douce attente qu’il leur avait imposée quelques secondes plus tôt se retrouve condamné à jouer le jeu malgré l’atroce tentation ondulant contre lui, les mouvements de son bassin lui faisant amèrement regretter de ne pas vouloir céder trop vite. Ce qu’il ne regrette pas, en revanche, c’est d’avoir laissé les rênes à celle sur laquelle il se penche, collant leurs joues autant pour se faire entendre que pour inhaler à nouveau son parfum et s’approcher, toujours plus, d’elle.

- Et c’est pas pour me déplaire. Sa main glisse au plus bas de l’abdomen de sa partenaire, sa peau brûlant à cette caresse passant inaperçue au milieu de la foule mais si violente qu’il lui faut rassembler toutes ses forces pour ne pas craquer et l’entraîner ailleurs. Continue comme ça et je ne réponds plus de rien, Princesse.

Le souffle chaud du moscovite se fait erratique, s'échouant sur sa gorge que ses lèvres brûlent de découvrir de plus près. Mais non, pas maintenant. L'endroit n'est pas ce qui le retient, pas plus que cette foule dont il n'a que faire. Non, ce qui le retien, c'est l'idée même de l'intensité que tout prendra lorsqu'ils s'abandonneront, enfin, l'un à l'autre. Parce qu'ils le feront, tôt ou tard, l'électricité qui circule entre eux parlant d'elle même.

Le calvaire s'étend sans qu'il n'entende plus la musique qu'en sourdine, alors que d'autres sens prennent le dessus, et clairement pas celui de la raison. Lorsqu'elle s'écarte de lui, il ne peut réprimer un mouvement vers elle, pour la retenir, mais elle glisse rapidement ses doigts entre les siens et le slave enserre cette main délicate qui le guide jusqu'à leur table, sur laquelle trônent toujours leurs verres intouchés. Elle a raison, la nuit est encore jeune et ils ont tout le temps d'éprouver leurs patiences avant de les récompenser. Et, d'ici là, il compte bien continuer de prendre du bon temps.

Il s'assied à côté d'elle, faisant barrage de son corps, ou la forçant à lui passer dessus si jamais elle souhaite passer de l'autre côté. Pas dit qu'elle y parvienne, cela dit. Il se saisit des shooters offerts par la maison, proposant l'un d'eux à la danseuse avec qui il trinque avant de reposer le sien dans un claquement sourd sur la table.

Reprends des forces, ma belle. Quelque chose me dit qu'on va en avoir besoin. Il illustre ses propos en portant son verre de whiskey aux lèvres, faisant définitivement une croix sur l'idée de consommer solide ce soir. Ses yeux ne la quittent pas, même lorsqu'il repose le verre, même lorsqu'il se penche vers elle, encore agréablement essoufflé de la performance qu'elle lui a offerte à quelques mètres de là. Et ne te retiens surtout pas, Printsessa. Je me charge de tout. Il évoque évidemment tout ce qu'elle peut commander dans cet établissement, mais joue volontairement sur le double sens de ses mots qu'il espère voir pris en considération. Parce que la voir comme une princesse à qui ne rien refuser commence fortement à lui plaire, tout autant que de la voir prendre les devants.

Non, définitivement, non. Il n’en fera pas une droguée, laissera les doses là où elles sont, chez lui, bien à l’abri dans un coffre fort. Seuls quelques sachets de poudre blanche remplissent la poche intérieure de son blouson, les seuls qu’il se permette à lui-même, les seuls qu’il lui proposera sûrement, parce qu’il en connaît tous les effets, parce qu’il en connaît la composition, et parce qu’il ne pourra pas le lui refuser quand lui en prendra, bientôt. Mais pas encore. Pour l’heure, il plonge ses billes argentée dans celles de la blonde, la fixant d’un regard plein de détermination autant que de désir. De cette détermination à la faire sienne, ce soir, à lui faire regretter de ne savoir quel nom crier. De ce désir qui lui brûle les entrailles et qui se souvient des va-et-vient de ses hanches jusque dans les moindres détails, qui n’attend que de les saisir à nouveau et de parcourir sa peau pour en apprendre la moindre parcelle.

Elle écrase ses lippes sur les siennes, sa poitrine contre son torse, et il lui répond sans se faire prier, dans un soupir de plaisir et de hâte contenue. Ses poings se ferment dans ses cheveux sans tendresse aucune, une main descend lui agripper la nuque tandis que l’autre glisse plus bas, jusqu’à cette croupe qui le rend fou depuis qu’il en a senti les courbes contre son bassin. Il l’empoignade, l’attire, commence à hisser la danseuse sur lui avant de se raviser dans un sourire moqueur contre les lèvres qu’il mord doucement, ses yeux venant taquiner ceux de l’impétueuse.

T’as failli m’avoir, ma belle. Il en veut autant qu’elle, voit déjà l’instant où il l’entraînera loin de là, où ils enfourcheront de nouveau sa moto sans jamais se séparer, où il prendra sa revanche sur la torture qu’elle lui inflige mais qu’il ne demande qu’à subir. Mais toi, tu me donnes envie de prendre mon temps.

Il bout de l'intérieur, le slave qui imagine mille et une façons de céder à la tentation, avec pour seul point fixe : elle. Il grogne à la douce morsure sur ses lèvres, passant sa langue sur celles de la sauvage en réponse. Sa main lui presse toujours la croupe et son torse s'appuie contre cette poitrine qu'il brûle de libérer, lui faisant immédiatement regretter son inconcevable ambition. Il sait qu'il ne pourra pas lui résister très longtemps. Mais la voir ainsi chercher à le faire sortir de ses gonds lui fait la désirer de plus belle. Elle veut qu'il la veuille, il ne l'en veut qu'encore plus.

Son sourire s'élargit au défi qu'elle lui lance et sa main droite descend, lentement, de sa nuque, frôlant son bras pour glisser vers l'intérieur de sa cuisse qu'elle remonte, tout aussi lentement, la fabrique de la robe se plissant devant ses doigts qui pressent doucement la jambe qu'il tire un peu vers lui.

- Tu rends ça particulièrement difficile, tu le sais ça ? Son autre main quitte la croupe pour se glisser sous sa veste, d'où elle sort un petit sachet au contenu reconnaissable. Autant perdre en beauté. Il s'écarte, à peine, de la blonde pour ouvrir la poche et y plonger son doigt, déposant une infime quantité de poudre blanche sur le revers de sa main et de la faire disparaître d'une seule inhalation. Cette prise n'est qu'un en-cas, un amuse gueule, l'introduction aux prochains qui le maintiendront éveillé jusqu'au bout de la nuit, qu'il est bien décidé à mettre à profit avec celle sur laquelle il fond sans prévenir, écrasant avec violence ses lèvres s'étant languies d'elle.

Ce nouveau baiser transpire de l'appétit féroce qu'elle lui inspire, tout autant que la main qui vient retrouver sa cuisse, se glissant à présent sous le tissu pour en découvrir la douceur qu'il a fantasmée depuis qu'il l'a entrapercue dans la ruelle.

- J'ai envie de toi, Printsessa. Son autre main, encore blanchie de la poudre ayant retrouvé sa place dans son blouson, l'attire enfin sur lui puis vient de hisser sous les narines de la danseuse dans une invitation à se joindre à la transe qui monte en lui. Ses doigts aventureux, eux, disparaissent définitivement sous la robe, venant caresser la délicate dentelle, fragile rempart entre eux et ce qu'ils convoitent, les yeux du moscovite ne se détachant pas une seule seconde de ceux de celle à qui, sans un mot, il s'avoue vaincu.